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Tout enfant, on l’avait envoyé en France pour son éducation, croyait-il, mais surtout pour qu’il n’eût rien de commun avec ceux de sa race. Du pays natal, il ne lui restait que le souvenir confus qu’on peut avoir d’un songe. Il entrevoyait les ondes jaunâtres d’un grand fleuve courant vers la mer bleue, les mâts pressés de navires innombrables, des forêts de cyprès gigantesques aux troncs droits et lisses, des jardins d’orangers, des oiseaux, des insectes diaprés comme des fleurs, la végétation et le ciel de l’Éden. Cette vision lui donnait de temps à autre un accès de nostalgie éphémère dans les cours sombres du collège, qu’il aimait d’ailleurs comme le théâtre de ses succès et le centre de ses affections les plus chères. Il était impossible d’être mieux doué, plus sympathique à tous que Max d’Arcy. Parmi ses maîtres, ses camarades et dans les familles de ces derniers, il ne comptait que des amis : les sentimens qu’on lui témoignait étaient de ceux qui peuvent inspirer à une jeune âme la confiance en soi et une légitime fierté. Tant de soins et de bienveillance l’avaient toujours entouré que jamais l’isolement ne s’était fait sentir à lui, quoique pendant une longue suite d’années il n’eût connu son père que par des lettres assez rares renfermant plus de bons sur ses banquiers que d’effusions sentimentales. Les études brillantes de Max, la correspondance qui l’initiait au développement d’un caractère loyal et chevaleresque, enivraient de joie M. d’Arcy, mais l’amour paternel qu’il s’étudiait à cacher n’eut jamais pour confident que M. Vernon. Celui-ci, originaire du Canada, s’était fixé autrefois, par suite de son mariage et des exigences de sa carrière, à la Nouvelle-Orléans, où il avait conservé certaines tendances libérales taxées d’excentricité par son entourage. M. d’Arcy avait été l’un des plus prompts à l’en blâmer. Le jour où de secrètes tendresses vinrent étouffer à demi chez lui le préjugé, il fut heureux cependant de trouver quelqu’un à qui sans trop rougir il pût les laisser entrevoir. M. Vernon fut plusieurs fois conduit en France par ses affaires, et chaque fois rendit visite à Max. Grâce à cet intermédiaire, son père le savait donc abondamment pourvu des qualités qu’il eût possédées lui-même, si elles n’eussent été de bonne heure réduites à néant par une légèreté, une fureur de plaisir capables d’étouffer le plus robuste génie; il s’enorgueillissait d’avoir donné le jour à un fils digne de faire revivre son vieux nom français dans la mère-patrie, mais pour cela il lui fallait oublier qu’une goutte de sang noir se fût mêlée au sang aristocratique des d’Arcy. Le jeune garçon avait toujours espéré que la providence lointaine qu’il vénérait sous le nom de père finirait par se rendre visible; la certitude qu’ils seraient toujours séparés fut le premier chagrin de sa vie; il apprit avec indifférence qu’il était riche, prêta en revanche une oreille attentive à certains éclaircissemens qu’on crut devoir