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l’entretien de l’esclave durant toute sa vie, mais aussi les intérêts et l’amortissement en peu d’années du capital employé à l’acheter, et, la somme de ces frais excédant toujours le salaire annuel du meilleur ouvrier blanc, l’emploi de travailleurs libres se trouve, tous comptes faits, être plus économique. — Il est insuffisant parce que, l’intelligence de l’esclave étant systématiquement étouffée, son ouvrage est toujours grossier, et l’on ne peut obtenir de lui les mêmes soins que de l’ouvrier maître de lui-même. — Il est incertain, car, les époques de récoltes exigeant un grand nombre de bras que le propriétaire ne peut louer sur un libre marché, celui-ci est obligé d’entretenir sur sa plantation, durant toute l’année, le nombre d’esclaves dont il pourra alors avoir besoin sans qu’aucune prévision lui permette de le calculer exactement d’avance, et en s’exposant à tous les hasards du chômage et de la maladie de ses meilleurs ouvriers.

Dans de pareilles conditions, l’exploitation du sol ne pouvait être entreprise que sur une grande échelle et avec un capital considérable. Sur les grandes plantations, l’on pouvait suppléer aux ressources que donne la libre concurrence en ayant des esclaves spéciaux, instruits dans les différens métiers, et la variété des travaux que comportait une pareille exploitation permettait d’employer toujours une grande partie des esclaves tantôt à un ouvrage, tantôt à un autre; enfin le capital engagé était réparti sur un assez grand nombre de têtes de nègres pour qu’un amortissement et un fonds d’assurance bien administrés pussent faire face aux accidens qui ruinent la petite propriété d’esclaves.

Grâce à cette constitution de la propriété foncière, les états du sud étaient presque exclusivement occupés par trois classes. Au bas de l’échelle sociale se trouvait le nègre, penché sur le sol qu’il était seul à cultiver, et formant une population d’environ quatre millions d’âmes, soit le tiers des habitans du sud. Au sommet, les maîtres, trop nombreux pour être une aristocratie, constituaient une véritable caste. Ils possédaient la terre et les esclaves qui la fécondaient; vivant entourés chacun de toute une population asservie dont ils dirigeaient les travaux, ils dédaignaient toute autre occupation. Plus intelligens qu’instruits, braves, mais passionnés, fiers, mais impérieux, éloquens, mais intolérans, ils s’adonnaient aux affaires publiques, dont la direction exclusive leur appartenait, avec toute l’ardeur de leur tempérament.

La troisième classe, celle des petits-blancs, la plus importante par le nombre, se trouvait au-dessous de la seconde et bien au-dessus de la première, sans pouvoir cependant servir d’intermédiaire entre elles, car elle était profondément imbue de tous les préjugés