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adultes? Et leurs propres parens ne les élèvent-ils pas avec plus de soins et d’affection que ne pourraient le faire les hommes? Notre apparent paradoxe est ainsi justifié pour la plus grande gloire de l’éléphant. L’emploi le plus important que l’on ait fait de ces monstrueux et intelligens animaux est celui de machines de guerre vivantes. C’est à ce point de vue que nous allons esquisser leur histoire, dire ce qu’on en a fait dans l’antiquité, à quel usage on les emploie actuellement dans l’Inde anglaise, et enfin quels services ils peuvent rendre encore, même dans les guerres de notre époque, même dans les rangs de notre armée.


I.

Il n’est personne qui n’ait dans la mémoire le rôle joué par les éléphans dans la première bataille livrée aux Romains par Pyrrhus, roi d’Épire. C’était en Lucanie, près de la ville d’Héraclée, sur le golfe de Tarente (an 280 avant J.-C). La lutte avait été acharnée : Pyrrhus lui-même avait été blessé, et ses soldats lâchaient pied devant les Romains lorsque le roi commanda de faire donner les éléphans. Les Romains voyaient pour la première fois ces monstrueux animaux : la surprise ébranla leur courage, leurs chevaux s’effrayèrent, et, se jetant tumultueusement sur l’infanterie, y portèrent le désordre. Une charge de la cavalerie thessalienne de Pyrrhus changea ce désordre en déroute. L’intervention de ses éléphans sauva ce jour-là le roi d’Épire d’une défaite; mais dans les rencontres suivantes les Romains s’étaient familiarisés avec les bœufs de Lucanie, comme ils appelaient ces animaux nouveaux pour eux. Ils réussirent à les effrayer par des projectiles incendiaires et à les rejeter sur les rangs de l’armée de Pyrrhus, où ils causèrent de cruels ravages. Celui-ci, découragé par son insuccès, abandonna l’Italie pour retourner en Épire. Les éléphans qui n’avaient pas été tués sur les champs de bataille furent pris par les Romains et ornèrent le triomphe du consul Curius Dentatus : triste fin pour les vétérans de tant de guerres ! car les éléphans qui suivirent le char triomphal dans les rues de Rome avaient derrière eux une longue épopée; laissés dans l’héritage du conquérant de l’Asie, ils avaient figuré dans les guerres de la succession d’Alexandre, et ils n’avaient survécu à de nombreuses batailles et à de nombreux sièges que pour amuser les enfans de Rome et leur servir de spectacle !

L’armée d’Alexandre est en effet la première armée européenne à laquelle aient été opposés des éléphans de guerre. Ceux de Darius tombèrent au pouvoir du vainqueur. A la bataille de l’Hydaspe, le roi indien Porus avait dans son armée 300 chars de guerre et 30 éléphans suivant Diodore, 200 suivant Arrien. Alexandre avait fait munir