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de 150 à 200 francs en Cochinchine. Nous ignorons quel en est aujourd’hui le prix, mais il ne peut y être élevé, puisqu’on n’exploite pas cet animal sur une aussi grande échelle que dans l’Inde, et puisqu’il y est si nombreux qu’on le chasse uniquement pour le détruire. Nous pouvons donc sans crainte d’erreur affirmer qu’un éléphant coûte moins cher en Cochinchine qu’un cheval en France. Si l’on ne veut armer un transport spécial pour amener en une fois les éléphans destinés à notre artillerie, on peut les envoyer par petits groupes sur les steamers qui font le service de l’Indo-Chine. Supposons les éléphans amenés en France, leur entretien sera-t-il coûteux? A voir ces énormes animaux, on pourrait croire que leur appétit est inépuisable. Il n’en est rien, la nourriture de l’éléphant est relativement moins coûteuse que celle du cheval. Je dois à l’obligeance de M. Albert Geoffroy Saint-Hilaire, directeur du Jardin d’acclimatation, de savoir ce que coûte la nourriture des deux éléphans d’Afrique qui font l’ornement de ce jardin : ce prix est de 4 francs par jour par chaque animal. Pour un cheval, il varie de 1 fr. 50 c. à 1 fr. 75 c. Ainsi les deux éléphans formant l’attelage d’une pièce de 18 ou de 24 coûteront 8 francs de nourriture par jour, tandis que les six chevaux formant l’attelage d’une pièce de 12[1] reviennent à 9 ou 10 francs. Rendant de plus grands services, les éléphans coûteraient moins cher que les chevaux. Ajoutons à cela que l’éléphant vit cinq ou six fois plus longtemps que le cheval, et que par conséquent la dépense des remontes s’espace sur un temps plus long. Le colonel Willis nous apprend que l’éléphant peut servir de dix-huit à soixante-dix ans. Un cheval ne peut servir qu’à l’âge de quatre ou cinq ans; le dressage dure un an, et l’animal est réformé à l’âge de quinze ans; en outre, la mortalité enlève annuellement un dixième de l’effectif. Ce sont là de graves dépenses.

Dans toutes les guerres où l’éléphant a figuré, cet animal n’a jamais été une cause de retard pour l’armée. Il fournit les mêmes étapes que les autres corps; il pourra également traîner avec rapidité les canons auxquels il serait attelé, car il peut courir, et si la vitesse de sa course n’égale pas le galop du cheval, elle en dépasse le trot. Quoique originaire des pays les plus chauds du globe, il peut faire campagne, même en hiver, sous nos climats. Ils en témoignent, ces éléphans qui faisaient partie des armées carthaginoises en Espagne et en Italie, et surtout ceux d’Annibal qui firent cette longue marche de cinq mois d’Espagne en Gaule et de Gaule en Italie à travers les neiges et les glaciers des Alpes. C’était sans contredit une. expédition pénible, puisque Annibal y laissa presque la moitié de son armée;

  1. Nos pièces de 12 et de 7 sont attelées de six chevaux deux par deux. Nos pièces de 4 n’étaient attelées que de quatre chevaux dans la dernière guerre : c’était une fâcheuse économie. Les Prussiens mettaient six chevaux à leurs pièces de 4.