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à des stipulations favorables à leurs populations propres, dans le dessein d’obliger le gouvernement français. Bien plus, il ne pouvait s’agir, dans l’opinion de ces gouvernemens, de rendre service à la France; convertis qu’ils étaient à la doctrine du libre échange, il était inévitable qu’ils considérassent le retour médité par M. Thiers au système protectioniste et restrictif comme destiné à nuire à la France même, au lieu de lui être utile. La question pour eux était de savoir s’ils sacrifieraient les intérêts de leurs nationaux aux préjugés personnels de M. Thiers, et ils n’avaient aucune raison pour condescendre à ce sacrifice.

M. Thiers n’en a pas moins suivi son projet avec une persévérance digne d’une meilleure cause. La mauvaise volonté de l’assemblée fut visible dès le premier jour; on mit beaucoup d’empressement à voter divers impôts dont la pensée se trouvait dans son projet de loi du mois de juin, mais on se refusa à admettre l’impôt des matières premières parce qu’on le jugeait dommageable pour l’industrie, et parce qu’il devenait clair qu’il était impraticable à cause de la résistance qui se manifestait de plus en plus chez les étrangers vis-à-vis desquels nous étions engagés. Il n’en tint compte. Le 19 janvier 1872, après une longue discussion où M. Thiers avait payé de sa personne, l’assemblée repoussa poliment l’impôt sur les matières premières. M. Thiers, irrité, lui envoya sa démission pour la forcer de se rétracter. L’assemblée, prise au dépourvu et plus qu’embarrassée, n’eut de ressource que dans la soumission et s’y résigna. On alla chez lui dans l’attitude de supplians lui demander pardon. A partir de ce moment, usant et abusant des avantages de sa situation, M. Thiers fit voter la dénonciation des traités de commerce avec l’Angleterre et la Belgique; il fit abolir la loi de 1866 qui émancipait partiellement le commerce dans ses rapports avec la marine marchande. Il exigea qu’on inscrivît au budget des recettes le droit des matières premières pour 93 millions : tant qu’a duré sa présidence, les ministres des finances se sont respectueusement inclinés devant cette fantaisie ; les rapporteurs du budget ont montré la même docilité; mais jamais le droit sur les matières premières n’a été bien spécifié et n’a pu être perçu, parce que l’attitude des étrangers, forts des engagemens que les traités portaient, l’interdisait absolument. On a ménagé ce qu’on regardait comme l’idée fixe d’un homme indispensable; mais on s’est arrangé de façon que son obstination fût sans effet, et on s’est montré sur ce point tout aussi obstiné que lui-même. A peine M. Thiers fut-il renversé le 24 mai 1873 que les 93 chimériques millions disparaissaient du budget. En même temps le traité de commerce avec l’Angleterre et la Belgique était renoué; la loi de 1866 sur la marine marchande sortait viTante du tombeau où il avait cru la sceller ; diverses atteintes de