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A-t-elle été mieux inspirée au sujet des améliorations que comporte le mode d’exploitation des chemins de fer ouverts au public? Nous sommes obligés de dire que non. L’exploitation de nos lignes ferrées est stationnaire ; le progrès ne s’y introduit qu’avec une extrême lenteur. Dans la grande enquête qui a eu lieu en Angleterre de mars à juillet 1872, un des principaux témoins entendus, sir E. Watkin, président de deux chemins de fer (le South-Eastern, et le chemin de Manchester, Sheffield et Lincolnshire), a fait une déposition qu’on peut résumer ainsi : Voilà quinze ou seize ans que je suis dans les chemins de fer, et j’ai eu lieu d’étudier ceux de la France. Chacune des grandes compagnies de chemins de fer français ayant été soigneusement tenue par le gouvernement à l’abri de la concurrence, qui est pourtant le grand promoteur du progrès, l’exploitation des chemins de fer français est restée à peu près immobile, et aujourd’hui elle est fort en arrière. Nos compagnies au contraire, ayant senti l’aiguillon de la concurrence, ont tout amélioré, la rapidité et le bon marché du service, la fréquence des trains. En conséquence leur clientèle s’est développée considérablement. Aujourd’hui, entre Manchester et Londres, il y a par jour, les deux sens réunis, quarante-six trains de voyageurs. — A l’égard des marchandises, les résultats généraux de l’enquête et l’étude des tarifs anglais montrent que, la concurrence stimulant l’intelligence des compagnies, on a obtenu en Angleterre des résultats que les continentaux et les Français particulièrement ne peuvent envisager sans un sentiment pénible. Sous plusieurs rapports, le service des marchandises sur les chemins de fer français, pour ne parler que de celui-là, est grossier en comparaison de celui qui est à la disposition permanente des Anglais. Dans le mode français, on fait abstraction de la vitesse; on la traite comme une superfluité, comme si le temps n’était pas de l’argent et comme s’il n’était pas de l’essence même des chemins de fer de doter les opérations commerciales de l’avantage de la vitesse. Je pourrais citer un tarif spécial existant entre une cité populeuse et un port de mer important, en vertu duquel le chemin de fer peut mettre neuf jours pour faire 28 kilomètres; 3 kilomètres et un neuvième par vingt-quatre heures !

Derrière la pensée systématique qui a organisé ce système si bien nommé de la petite vitesse, il y a eu probablement le calcul de déterminer une certaine masse de marchandises à prendre la grande; mais celle-ci est si coûteuse que la spéculation a avorté, et ceux qui avaient ourdi cette profonde combinaison ont manqué le but. C’est qu’avec la grande vitesse il faudrait payer pour le parcours kilométrique d’une tonne (1,000 kilogrammes) de 30 à 36 centimes, sans compter l’impôt de 2 décimes par franc que s’est attribué l’état. Et pourtant la vitesse que nous qualifions de grande ne