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lieu les régimes qui dérivent de la famille  : c’est le clan, c’est la tribu, c’est la confédération des tribus. L’ancien clan gaulois, la tribu arabe, l’antique société perse avant Cyrus, sont des types de ces régimes. Ils ont cela de commun que le lien social s’y forme par la naissance et s’y confond avec le lien de famille. Il y a en second lieu les gouvernemens qui ont pour principe l’association politique ; c’est ce que les Grecs appelaient τὸ ϰοιϰὸν et les Romains respublica, c’est ce que nous appelons aujourd’hui l’état. Ici l’autorité appartient en principe à la communauté ; en fait, elle est déléguée soit à un monarque, soit à un sénat dirigeant, soit à une assemblée populaire et à des magistrats électifs. Le gouvernement revêt ainsi les formes diverses de la monarchie, de l’aristocratie ou de la démocratie. Au fond et sous ces noms différens, on peut reconnaître le même organisme social. La règle commune est que l’individu humain est subordonné à la société, qu’il est soumis à des pouvoirs publics, qu’il obéit à des lois générales, et qu’en retour ces pouvoirs publics et ces lois générales protègent sa vie et sa fortune.

Il y a enfin un troisième régime qui diffère essentiellement des deux autres, et qui d’ailleurs se rencontre presque aussi fréquemment qu’eux dans la longue histoire de l’humanité  : c’est celui où l’homme n’est soumis ni à une autorité publique ni à des lois communes. Il obéit pourtant, car le besoin d’obéissance est au fond de la nature humaine, mais il choisit individuellement celui à qui il veut obéir ; il contracte avec celui-là des obligations étroites, il se fait son serviteur, il se donne à lui tout entier. Ici nul pouvoir qui ait un caractère politique ; on ne connaît ni l’autorité de tous sur chacun, comme dans les démocraties, ni l’autorité d’un seul sur tous, comme dans les monarchies. Le commandement et la sujétion ne dérivent pas d’un principe supérieur et ne sont pas constitués par une loi générale. L’homme s’attache individuellement à l’homme et lui voue une obéissance volontaire. Le lien social est ainsi remplacé par une série de liens personnels.

On se tromperait d’ailleurs beaucoup sur la nature humaine, si l’on supposait que cet attachement puisse être le fruit des plus nobles passions et des sentimens les plus chevaleresques. C’est un intérêt précis et matériel qui fait contracter cette sorte de lien. Le fait primordial qui donne naissance à tout cet ordre de relations est qu’un homme faible ou pauvre s’adresse à un autre homme qui est fort ou riche ; il lui demande ou l’appui de ses armes ou la jouissance de sa terre, et pour obtenir l’un ou l’autre il se soumet volontairement à cet homme. Ainsi se forme un engagement qui oblige l’un à protéger, l’autre à obéir.

Cet engagement a porté différens noms aux différentes époques