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de l’histoire. On l’a appelé d’abord patronage et clientèle, plus tard mainhour et fidélité, plus tard encore seigneurie et vassalité. Les mots ont changé, l’institution était la même. Il s’agissait toujours de la sujétion personnelle de l’homme à un autre homme.

Cette institution du patronage ou de la fidélité n’est pas propre à une race ou à un siècle, elle est de tous les temps. On la peut suivre à travers le passé, et il serait téméraire d’affirmer qu’elle ne renaîtra jamais dans l’avenir. Elle est en germe dans toutes les sociétés, elle se développe surtout dans les sociétés troublées et mal assises. Sa force est toujours en proportion inverse de celle de l’autorité publique. Tantôt celle-ci refoule le patronage et le rejette dans l’ombre, tantôt c’est le patronage qui sape et qui renverse l’autorité publique.


I. — LE PATRONAGE CHEZ LES GAULOIS, DANS L’EMPIRE ROMAIN, CHEZ LES GERMAINS.


La société gauloise au moment où César l’a connue se trouvait dans un état de transition. Elle n’avait plus le régime du clan, et elle s’efforçait de constituer le régime de l’état; mais cette œuvre était pleine de difficultés. Les classes, les partis, les ambitions personnelles et les intérêts se faisaient partout la guerre. On ne s’entendait pas sur la forme à donner à l’état; les uns voulaient une aristocratie et des institutions républicaines[1], les autres voulaient une royauté démocratique[2], d’autres enfin essayaient à travers mille désordres de concilier la démocratie avec le gouvernement républicain[3]. Au milieu de ces luttes et du désordre, le patronage prit vigueur et faillit devenir l’institution dominante.

On voit en effet dans les Commentaires de César que la cité gauloise, encore mal constituée, était également impuissante à se faire obéir des forts et à protéger les faibles. Or, comme le premier besoin de l’homme est de vivre en paix et en sécurité, il arriva naturellement que le faible, ne se sentant pas protégé par l’autorité publique, chercha ailleurs un appui. Il demanda à un homme la protection que la société ne lui accordait pas. Il s’adressa à l’un des puissans et le supplia de le défendre contre les autres. Il était juste que cette protection se payât; le prix en fut la dépendance. Le protégé se mit sous l’autorité du protecteur. « Pour échapper aux violences

  1. Voyez ce que César dit du gouvernement des Éduens.
  2. Voyez ce que César dit de Dumnorix « cher à la plèbe, » et de Vercingétorix, qui, après avoir chassé les chefs du parti aristocratique, se fit roi. César, VII, 4; comparez César, V, 3; V, 27; I, 17 et 18.
  3. César, Guerre des Gaules, V, 38.