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L’entrée des Germains en Gaule ne pouvait pas avoir pour effet d’arrêter ce mouvement irréfléchi des populations. Le principe et les règles du patronage étaient aussi connus des Germains que des sujets de l’empire. Il était en effet dans les usages de l’ancienne Germanie qu’un guerrier s’attachât à un chef de son choix. Dès ce moment, il cessait d’être un membre de la tribu et devenait un compagnon, un fidèle. La tribu restait en paix ; lui, il cherchait la guerre. La tribu cultivait le sol ; lui, il courait au butin. Il allait combattre, non où la tribu l’envoyait, mais où son chef le conduisait. Il affrontait la mort non pour la patrie, mais pour son chef. Les lois de la tribu n’étaient plus les siennes ; il n’obéissait qu’au chef à qui il s’était donné. Il vivait avec lui, mangeait son pain, recevait de lui le cheval de bataille ou la framée. Il lui devait en retour un dévoûment sans bornes ; il donnait sa vie pour le sauver ou mourait avec lui. Cet attachement volontaire, ce lien tout personnel, ce contrat qui obligeait le chef à nourrir son compagnon et le compagnon à mourir pour son chef, ce n’était pas encore tout le régime féodal, c’en était déjà une partie. C’était la féodalité sans la terre, c’était la féodalité réduite à l’état guerrier, comme le patronage de l’empire romain était la féodalité sans les armes.

On distingue bien dans le livre de Tacite que le régime de la tribu et celui du patronage militaire existaient concurremment en Germanie, non sans se gêner et se troubler l’un l’autre. Chaque homme pouvait choisir entre eux. Il pouvait quitter la tribu pour s’attacher à un chef ; il pouvait quitter ce chef et rentrer dans la tribu L’un et l’autre étaient réputés également légitimes, également honorables, et l’existence du Germain était un va-et-vient de l’un à l’autre. Il semble bien, d’après les descriptions de Tacite, que le régime de la tribu était encore prédominant à son époque, surtout chez les nations qui, comme les Chauques et les Chérusques, menaient une existence paisible. Le régime du patronage et de la bande guerrière n’avait encore sa pleine vigueur que chez les Suèves. Trois siècles plus tard, la situation avait changé. Les guerres et surtout les désordres intérieurs avaient affaibli partout les institutions politiques, et il était arrivé naturellement que les habitudes du patronage avaient pris le dessus. On ne voyait presque plus de tribus ; on trouvait partout des bandes guerrières. Au lien social, presque rompu partout, se substituait le lien de l’obéissance personnelle. Ceux des Germains qui entrèrent en Gaule n’avaient pas d’autre système d’institutions que le patronage militaire. Ils formaient ordinairement de petits groupes qu’on appelait arimanies. Chaque groupe avait son chef ; plusieurs groupes s’unissaient entre eux sous un chef suprême, et c’est ainsi qu’étaient composées la plupart des armées germaniques. Les rapports entre les chefs et les soldats n’étaient