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rois visigoths interdirent le patronage ainsi qu’avaient fait les empereurs[1]. Les rois francs suivirent en général une autre politique. Au lieu de lutter contre le patronage, ils voulurent se servir de lui pour assurer leur propre pouvoir. L’acte qu’ils renouvelèrent le plus fréquemment durant les deux siècles et demi qu’ils régnèrent fut celui par lequel ils recevaient un personnage sous leur protection spéciale et se faisaient ainsi un fidèle. Comme ils furent d’abord très puissans, leur patronage fut fort recherché. Les hommes se recommandaient volontiers à eux, se mettaient « sous leur tutelle, sous leur défense. » On a conservé les formules des diplômes qui attestaient qu’une personne était sous la protection personnelle du prince : u Un tel est venu vers nous, y est-il dit, et nous a demandé qu’il lui fût permis d’entrer dans notre recommandation; nous le recevons et gardons sous la sûreté de notre tutelle. » « Tel homme, est-il dit encore, s’est rendu en notre présence, et, à cause des maux que lui faisaient souffrir les méchans, nous a supplié de le prendre sous la sûreté de notre protection. » Cette sorte de demande était quelquefois adressée aux rois par les faibles; on voit des veuves et des orphelins à qui le patronage royal était accordé; des hommes de toute race et de toute classe pouvaient l’obtenir. En général, c’étaient les hommes des rangs supérieurs de la société qui le sollicitaient, et c’étaient eux aussi, à ce qu’il semble, qui l’obtenaient le plus aisément. On voyait souvent un grand personnage, issu d’une noble famille gallo-romaine et riche propriétaire foncier, ou bien un Franc, chef de guerriers, se rendre au palais en grande pompe, suivi de tous ceux qui dépendaient de lui, et demander au roi de l’accepter parmi ses fidèles. Si le roi l’agréait, il lui remettait un diplôme par lequel il promettait de le protéger, lui, ses biens et ses hommes. « Cet homme, écrivait le prince, a été reçu par nous sous la parole de notre protection ; nous le garantissons désormais, lui, ses hommes, ses terres, contre toute attaque des méchans ; car il est juste que celui qui nous a juré la foi reçoive en retour notre appui. » Ces personnages, liés au roi par la recommandation et le serment, devenaient ses leudes, ses fidèles, ses antrustions. La protection spéciale du roi leur procurait deux avantages principaux. L’un était que, si quelque atteinte était portée à leur personne, le roi devait poursuivre leur vengeance et punir le coupable d’une peine triple. L’autre était qu’ils n’avaient à comparaître en justice que devant le tribunal du roi; il résultait de là que tous les procès du protégé se trouvaient jugés par le protecteur,

  1. Papianus, titre 43 (Pertz, t. III, p. 622). Lex Wisigothorum, antiqua, liv. II, tit. 2, art. 8. Ce texte disparut plus tard de la loi et fut même remplacé par une disposition toute contraire : preuve des progrès du patronage.