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clientèle de jeunes guerriers de noble naissance. » De pareils exemples se rencontrent à chaque page dans les chroniques. Il n’y avait pas un homme quelque peu puissant qui n’eût « des hommes à lui, » ou, suivant l’expression consacrée, « des hommes qui regardaient vers lui. »

Les caractères les plus différens pouvaient avoir des motifs pour s’engager dans les liens du patronage. L’homme paisible voulait seulement avoir un protecteur; il s’attachait à l’abbé d’un monastère, ou, comme on disait alors, à un saint. L’homme sans terre voulait avoir un bénéfice, et il s’attachait à un grand propriétaire. L’ambitieux qui visait aux fonctions publiques se recommandait à un grand dignitaire du palais. Le batailleur se faisait le leude d’un guerrier. Sous toutes ces faces diverses, c’était le même patronage et la même fidélité. Les rapports entre les fidèles et leurs chefs étaient exactement de même nature que ceux qui s’établissaient entre ces chefs et le roi. Les fidèles d’un comte, d’un évêque, d’un guerrier ou d’un grand propriétaire lui devaient l’obéissance et la sujétion. Unis à lui par un pacte et un serment, ils étaient ses serviteurs dévoués; ils l’appelaient des noms de maître et de seigneur; ils se disaient ses cliens, ses leudes, ses hommes, ses vassaux. Ils n’étaient plus régis par les lois communes du pays; ils l’étaient par la volonté de leur chef en vertu du contrat qu’ils avaient fait avec lui. Ils n’étaient plus sujets du roi; s’ils dépendaient encore de lui de quelque façon, ce n’était que par l’intermédiaire de leur chef. Ils n’étaient même plus, à proprement parler, membres de la société politique; s’ils paraissaient encore dans les mails de cantons ou dans les assemblées nationales, ce n’était qu’à la suite de leur chef, pour lui faire cortège et appuyer ses avis. Ce chef était leur unique souverain; il était leur roi et leur loi.

Il y avait donc dès le temps des Mérovingiens tout un ordre social qui était fondé sur l’institution du patronage et de la fidélité. Les hommes y étaient subordonnés hiérarchiquement les uns aux autres et liés entre eux par le pacte de foi ou de sujétion personnelle. Le régime féodal existait dès cette époque avec ses traits caractéristiques et son organisme presque complet; seulement il n’existait pas seul. Le régime de l’état, sous la forme monarchique, subsistait encore avec son administration, sa justice publique, quelques restes d’impôts et des codes de lois communes. Le patronage et la fidélité se faisaient jour au milieu de tout cela, mais ne régnaient pas encore. Légalement c’étaient les institutions monarchiques qui gouvernaient les hommes. La féodalité était encore en dehors de l’ordre régulier. Les lois ne la combattaient plus comme au temps des empereurs; du moins elles ne la consacraient pas encore. Ce vasselage tenait déjà une grande place dans les mœurs,