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ne sut opposer ni des frontières, ni des armées, ni une seule flotte. Ils attaquèrent de tous les côtés à la fois; ils étaient peu nombreux, mais, comme ils se multipliaient par le mouvement, on les rencontrait partout et on les croyait innombrables. Les Africains pillèrent Rome, l’Italie et la Provence; les Slaves et les Hongrois ravagèrent l’Allemagne; les Norvégiens et les Danois saccagèrent la France. Ils arrivaient sur des barques, remontaient le Rhin, la Seine, la Loire, brûlaient les villes, emportaient l’or, détruisaient les moissons et les villages, égorgeaient les paysans ou les emmenaient esclaves. « Ce n’était partout, dit un annaliste, que villages incendiés et églises abattues; partout des cadavres de clercs et de laïques, de nobles et de non-nobles, de femmes et d’enfans; il n’y avait pas une place, pas un chemin où l’on ne trouvât des morts ; c’était une grande douleur de voir comme le peuple chrétien était exterminé. » — « Une année, dit encore l’annaliste, ces hommes du nord quittèrent la France, parce qu’ils n’y trouvaient plus de quoi vivre. »

Les populations résistaient de leur mieux ; les chroniqueurs mentionnent souvent des actes de bravoure, et dans toutes les classes. Les rois, ces mêmes rois carlovingiens qu’on représente comme insoucians et oublieux de leurs devoirs, sont au contraire très actifs et très prompts à combattre; leur seul malheur est de ne pouvoir être partout à la fois. Nous les voyons toujours en mouvement, courant d’une frontière à l’autre pour faire face à l’ennemi ; ils ne connaissent pas le repos; Charles le Chauve lui-même a toujours l’épée à la main. Les grands montrent aussi du courage; on peut compter dans les annales tous ceux qui essaient de lutter, qui défendent les villes, qui surprennent l’ennemi, qui le mettent en déroute ou se font tuer. Il n’est pas jusqu’aux paysans qui ne prennent les armes; ils défendent vaillamment leur sol. Le courage ne manque pas et chacun fait ce qu’il peut ; mais ce n’est pas par le courage qu’une société se défend contre les convoitises de l’étranger, c’est par l’union et la discipline. Il faut que les forces individuelles sachent se grouper pour former une force publique. Or c’était cela même qui faisait le plus défaut à la France du ix« siècle. La royauté n’avait ni armées permanentes, ni forteresses qui fussent à elle, ni administration régulière, ni rien de ce qui protège un grand corps social. Comme on ne lui obéissait plus, elle était aussi incapable de défendre les populations.

Le principal résultat des incursions normandes fut de manifester à tous les yeux cette impuissance de la royauté : elles furent l’épreuve à laquelle on la jugea. Les peuples ne songèrent pas qu’ils étaient en partie coupables de sa faiblesse. Ils ne virent qu’une