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sucrée; les insectes avides de humer le nectar se couvriront de pollen et souvent le porteront au loin sur le pistil de la fleur d’un autre individu. Au lieu de se produire sur place, la fécondation étant opérée entre les fleurs de deux pieds de la même espèce, nous avons bonne raison de croire, ajoute l’auteur, que les semences auront la meilleure chance pour se développer. C’est le souvenir d’un fait très ordinaire, mais aussitôt M. Darwin voit la production du miel augmenter, les insectes visiter avec délices les fleurs privilégiées, les fécondations favorables au maintien de l’espèce devenir plus fréquentes, et enfin il accorde la survivance aux représentans choisis de l’espèce végétale; tout un petit roman. Après la plante, qui, par une sélection imaginaire, a lentement accru son aptitude à donner du miel, les insectes trouvant la nourriture dans le nectaire des fleurs doivent, selon l’idée du grand partisan de l’évolution perpétuelle, mettre à profit les avantages de la fortune. Les industrieux hyménoptères de la famille des abeilles, on le sait, déploient une extrême activité; ils accomplissent de pénibles travaux comme si les minutes étaient comptées; faute d’atteindre aisément avec la langue le fond d’une corolle, ils se hâtent de pratiquer une entaille près de la base. M. Darwin, ayant médité sur de tels actes, déclare « n’avoir aucune raison de douter qu’une déviation accidentelle, soit dans la dimension et la forme du corps, soit dans la courbure ou la longueur de la trompe, trop faible pour tomber sous nos sens, puisse néanmoins être utile à l’abeille, de telle sorte que l’individu favorisé d’une manière imperceptible serait capable de prendre sa nourriture plus vite et aurait une meilleure chance de vivre et de laisser une postérité. » Les descendans, dit-on, hériteraient probablement de la tendance au même genre de déviation. De pareilles hypothèses peuvent sembler ingénieuses à des personnes qui ne se livrèrent jamais très sérieusement à l’observation de la nature; aux yeux d’investigateurs, elles apparaissent comme des conceptions d’une philosophie primitive. Ne négligeons pas cependant la dernière partie de l’exemple de sélection inventé pour répandre la lumière sur la théorie. M. Darwin nous conduit au milieu des champs cultivés où croissent le trèfle des prés et le trèfle incarnat, c’est-à-dire sur un sol transformé par la main des hommes. Abeilles et bourdons s’agitent; les premières puisent sans peine le miel au fond de la corolle du trèfle incarnat; elles n’y parviennent pas sur les fleurs du trèfle commun, que les bourdons trouvent à leur convenance. Ainsi ce serait un grand avantage pour l’abeille, remarque le savant anglais, d’avoir la trompe un peu plus longue ou différemment construite. La fertilité du trèfle dépend beaucoup des visites et des mouvemens des insectes; alors supposant les bourdons devenus rares dans une contrée, il y aurait, pour le trèfle des prés,