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teintes vertes d’une ravissante fraîcheur, rehaussées par des marques blanches ou noires : une imitation de végétal. Chacun sait par expérience si les gentilles rainettes sont faciles à découvrir sur les plantes aquatiques.

Au milieu du monde de la mer, de nombreuses espèces semblent aussi avoir emprunté l’aspect des lieux. Des poissons tels que les soles, les floundres, les plies, affectent la teinte du gravier; des animaux qui ne s’éloignent pas des rivages se perdent dans la végétation marine à la faveur du coloris. On cite les hippocampes d’Australie, comme remarquable exemple d’appropriation heureuse; ces poissons portent des appendices d’un rouge vif qu’on prendrait pour des brins des fucus d’alentour; au repos, l’animal demeure invisible sur les plantes. Parmi les insectes, l’adaptation aux circonstances ordinaires de la vie est encore plus saisissante que dans les autres groupes du règne animal. Ce sont des chenilles teintes de la couleur des feuilles, des chenilles grises ou brunes comme les écorces, des sauterelles vertes comme les prés. Dans les chaudes régions du globe, sur les arbustes se tiennent les spectres[1], curieuses bêtes de grande taille, à la démarche d’une extrême lenteur; le corps est si pareil à une petite branche, les pattes à des tiges grêles, que la clairvoyance de l’homme et des animaux est continuellement déjouée. Des insectes de la même famille, les phyllies, habitent les parties méridionales de l’Inde, les îles de la Sonde, les Moluques. Sur les arbrisseaux restent immobiles de longues heures, les femelles et les jeunes individus; formes et nuances sont faites pour tromper. Tout l’animal est d’un vert charmant qui se confond avec la plante; le corps large et plat ressemble à une feuille; les ailes, traversées par des nervures et comme réticulées, ont également l’apparence des feuilles ; les pattes, pourvues d’expansions découpées d’une façon bizarre, affectent la physionomie de certaines portions du végétal. Il y a quelques années, des phyllies apportées à Paris vécurent plusieurs mois au Jardin d’acclimatation du bois de Boulogne, causant la surprise des visiteurs. Au milieu de la riche végétation des contrées tropicales de l’Amérique du Sud abondent les capricornes[2]; beaucoup d’espèces ont des teintes grises rehaussées de lignes irrégulières brunâtres; d’autres ont la surface du corps et des élytres inégale, même rugueuse; c’est une étonnante imitation de l’écorce. Pendant la chaleur du jour, ces insectes demeurent fixés sur les troncs d’arbres; on regarde, on examine, et souvent on ne parvient point à les apercevoir. Certains coléoptères, les chlamys, se font remarquer par des ciselures et des sculptures

  1. Les espèces de la famille des phasmides, de l’ordre des orthoptères.
  2. Les espèces de coléoptères de la famille des cérambycides.