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nomme des volucelles sont au plus haut degré remarquables. Une espèce de ce genre va déposer ses œufs dans les nids des guêpes; elle a le corps lisse, luisant, d’un beau jaune avec des bandes noires; elle ressemble à une guêpe. Une autre espèce pénètre dans la demeure des bourdons; elle a un corps tout velu où le blanc, le jaune et le noir s’entremêlent comme chez un bourdon. Sans l’uniforme, l’existence des volucelles serait impossible, car les étrangers sont mal reçus dans le domicile des hyménoptères industrieux, toujours prêts à se servir du glaive.

Parmi les animaux vertébrés, cette sorte de déguisement dont les insectes offrent tant d’exemples se montre chez plusieurs espèces. En quelques parties de l’Amérique, il existe des serpens venimeux, des elaps, très élégamment colorés. Sur un fond rouge courent des bandes noires souvent divisées par deux ou trois anneaux jaunes. Aux mêmes lieux habitent des serpens inoffensifs dont la peau écailleuse, lisse et brillante présente une peinture toute semblable. A la vue de notre coucou d’Europe, chacun est frappé de l’analogie du plumage de l’oiseau sans défense avec celui du faucon et de l’épervier. Dans les îles Moluques vivent des oiseaux robustes et actifs qui se réunissent en grandes troupes; ils sont munis d’ongles aigus et d’un long bec tranchant[1]. Comme s’ils avaient besoin d’une protection, de ternes loriots faiblement armés demeurent dans le voisinage[2], et, rapporte M. Wallace, le vêtement des uns se confond par les nuances avec celui des autres. Chez les mammifères, la protection due à la mimicry ou à l’imitation de l’apparence extérieure est un cas rare. Cependant des insectivores de l’archipel indien, les tupaïas[3], habiles à grimper sur les arbres, ont absolument la physionomie des écureuils; tout porte à l’illusion : la taille, la queue longue et touffue, les teintes du pelage. Ici, l’explorateur de la Malaisie note le dessein de la nature ; c’est le déguisement qui permet aux tupaïas de s’emparer aisément des insectes que n’inquiètent jamais les écureuils, avides de fruits.

Ainsi, dans des circonstances nombreuses, les signes caractéristiques les plus apparens de créatures capables de se défendre sont donnés à des êtres qui ont besoin de dissimuler soit la faiblesse, soit des appétits. Cette sorte d’emprunt est-elle donc l’indice de modifications lentement effectuées chez certaines espèces, la marque d’une sélection, comme M. Wallace se plaît à le supposer? Moins encore assurément que la conformité de la teinte entre beaucoup d’animaux et le sol, le feuillage ou l’écorce des arbres. Les espèces qui trompent sur leur qualité par des couleurs et un aspect appartenant

  1. Les espèces du genre Tropidorhynchus.
  2. Les espèces du genre Mimeta.
  3. Le genre Cladobates des zoologistes.