Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/607

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à d’autres types sont loin d’être toujours associées à ces derniers ; elles ont parfois une distribution géographique très étendue. Si, par la fameuse sélection dont il est impossible de saisir la moindre trace, ces espèces avaient acquis d’une façon lente, après une multitude de générations, l’uniforme qui les préserve contre le danger, le costume d’emprunt n’aurait pas en tous lieux et chez tous les individus une égale perfection. Avec des conditions d’existence un peu différentes, l’imitation se montrerait plus ou moins complète. Il n’en est rien. D’ailleurs, si les piérides héliconiennes avaient eu à l’origine la couleur blanche de nos piérides, elles auraient sans doute été détruites avant d’être transformées. En l’absence d’une livrée qui trompe les guêpes et les bourdons, jamais la volucelle ne serait parvenue à déposer sa ponte dans les nids où ses larves trouvent une pâture indispensable. Au sujet de la mimicry, on a soupçonné que l’alimentation et les influences du milieu avaient amené les curieuses ressemblances qui nous frappent. Cette opinion est encore démentie par les faits. Des espèces très cosmopolites, assez indifférentes sur le régime, n’offrent pas, nous l’avons vu, de variations sensibles. Des insectes ou d’autres animaux habitent une localité; la même plante les nourrit, et ils n’ont entre eux aucun rapport ni dans les couleurs ni dans l’aspect. Chez beaucoup de lépidoptères, le mâle et la femelle présentent d’énormes différences dans la coloration; les chenilles parfaitement semblables rongent le même feuillage, les chrysalides sont pareilles; les papillons éclosent, et selon le sexe nuances et dessins des ailes ont un caractère particulier. Pourtant les conditions de la vie sont identiques.

M. Wallace a fait d’intéressantes remarques sur les nids des oiseaux, et c’est une nouvelle occasion d’affirmer son attachement à l’idée de la sélection naturelle. Comme tous les naturalistes, l’habile observateur se révolte contre l’opinion très répandue, mais insensée, que les animaux agissent par instinct, à la façon de simples machines. Les signes de la pénétration, du raisonnement, de l’intelligence éclatent en effet chez les créatures les mieux douées, particulièrement chez les êtres qui exécutent des travaux[1]. Au sentiment trop général que les hommes apportent sans cesse des changemens et des améliorations dans la construction de leurs demeures, M. Wallace oppose les cases des sauvages, certainement aussi invariables que les nids d’une espèce d’oiseau. Les tentes des Arabes sont aujourd’hui les mêmes qu’il y a deux ou trois mille ans. Les villages de l’Egypte bâtis avec de la boue ne semblent pas avoir gagné en perfection depuis l’époque des pharaons. Quel

  1. Voyez les Conditions de la vie chez les êtres animés, dans la Revue du 1er mars 1870.