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Il prend plaisir à voir de jeunes braves comme Irmak Timoféévitch ou Michel Danilovitch entrer à leur tour dans la carrière. Seulement, quand il les voit s’abandonner imprudemment à leur ardeur, il va les ressaisir dans la mêlée avec des gaffes de fer, et leur dit courtoisement: « Maintenant que vous avez déjeuné, c’est à mon tour de dîner. » Mais enfin il blanchit, il est tout près de l’âge où l’on peut à peine

.... Déraciner un chêne
Pour soutenir ses pas tremblans.


Or un jour qu’Ilia de Mourom chevauchait par les bois, il arriva dans un endroit où s’ouvraient trois routes. Sur un rocher se lisait cette inscription : « Si l’on prend à droite, on deviendra riche; si l’on prend par le milieu, on sera marié; si l’on prend à gauche, on sera tué. » Le « vieux cosaque » réfléchit et se rendit cette justice, qu’à son âge il n’avait que faire de s’enrichir, encore moins de se marier. Il était plus convenable de prendre par le chemin où l’on devait être tué. Au bout de trois heures, il tomba sur une troupe de brigands. Dans la plupart des chansons, il veut les épargner et se contente de leur faire peur. D’une de ses flèches, il fait voler un chêne en éclats; les bandits épouvantés se dispersent. Il revint alors sur ses pas et écrivit sur le rocher : « J’ai pris à gauche et je n’ai pas été tué. » Reprenant la route du milieu, il arriva bientôt à un magnifique château. Une fille de roi d’une éblouissante beauté en sortit et vint embrasser le vieux brave. Elle lui donna un festin somptueux et l’emmena ensuite dans sa chambre. Il y avait là un lit de soie et de duvet; je ne sais pourquoi il parut suspect au bogatyr. Il refusa de s’y coucher le premier, alléguant que dans son pays c’est aux femmes de coucher au fond. Il prit alors la princesse par sa ceinture de soie et la jeta sur le lit, qui aussitôt s’effondra et précipita l’enchanteresse dans les souterrains du palais. Perrault, dans le conte de l’Adroite Princesse, nous a déjà fait connaître un lit semblable. Ilia courut à la porte du souterrain, l’enfonça d’un coup de pied et rendit la liberté à « quarante tsars ou fils de tsars, quarante rois ou fils de rois, » qui s’y trouvaient prisonniers. Quant à la perfide, il la fit cruellement écarteler. Il revint encore une fois au carrefour et écrivit : « J’ai pris par le milieu et je n’ai pas été marié. » Par la troisième route enfin, il arriva à une croix de fer qui marquait le gisement d’un trésor. Du trésor, il fit trois parts et en éleva trois églises : l’une au Sauveur miséricordieux, l’autre à saint Nicolas de Mojaïsk, la troisième à saint George le Brave. Il était donc en droit d’écrire sur le rocher : « J’ai pris à droite, et je ne suis pas devenu riche. » C’est ainsi qu’Ilia de