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important. On désigne de ce nom à Palerme la foule de gens sans aveu qui encombre la capitale de l’île, et qui, répandue en même temps dans les quatre provinces occidentales, Palerme, Girgenti, Trapani et Catanissetta, constitue proprement le malandrinaggio. En prenant les armes, ces gens-là obéissaient peut-être à la haine de la domination étrangère, haine commune à tous les Siciliens, mais plus encore ils cédaient à leurs mauvais instincts et à l’espoir, comme on dit, de pêcher en eau trouble : pour eux en effet, le mot de liberté n’a pas d’autre sens que suppression absolue des lois. Le concours de ces hommes décidés à tout et faits depuis longtemps au maniement des armes était réellement trop (utile, surtout dans les débuts d’une révolution, pour que personne, même le plus scrupuleux et le plus honnête, pensât jamais à les repousser. D’ailleurs, comme il arrive dans les mouvemens de ce genre qui ont eu pour point de départ une grande idée populaire, les premiers jours après la victoire, l’enthousiasme général faisait taire en eux les mauvais instincts et ne laissait place qu’aux sentimens plus nobles et plus relevés de la nature humaine; mais bientôt la bête féroce se révélait. Sous le prétexte plus ou moins spécieux de délivrer les victimes politiques, ils ouvraient les bagnes et les prisons, leurs rangs se grossissaient ainsi des condamnés qu’il fallait amnistier, puis ils s’organisaient en escouades et s’imposaient comme force active au gouvernement nouveau. Quelque temps encore les élémens honnêtes qui existaient dans les cadres, l’autorité morale des chefs et des initiateurs du mouvement, réussissaient à maintenir dans de discrètes limites les brutales tendances de la majorité. Quand les rapports entre les classes supérieures et la partie saine du petit peuple étaient intimes et cordiaux, on arrivait à installer un gouvernement régulier et à rétablir l’action des lois : c’est ce qui eut lieu en 1848 ; quant au contraire les gras et les maigres n’agissaient pas de concert, la crise se précipitait, comme en 1820.

De toute manière, ce n’était là qu’une question de temps. Tôt ou tard, la mafia se lassait de la contrainte imposée, et une anarchie bestiale désolait le pays. La population effrayée perdait la tête et faisait le jeu des coquins : c’était à qui se tiendrait à l’écart des affaires publiques; un jour, en désespoir de cause, on rappelait les Bourbons, sans que le nouveau gouvernement, abandonné, trahi de tout le monde, pût seulement tenter un simulacre de résistance. La troupe des malandrins alors, qui d’une façon plus ou moins directe avaient contribué à la réaction, venait chercher sa récompense. Les chefs de bande les plus fameux étaient nommés capitaines d’armes, leurs camarades entraient dans les compagnies d’armes : en d’autres termes, on les chargeait de la police. Et cependant, si grand désir qu’elle en eût, il était impossible à l’autorité de satisfaire aux exigences