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— Monsieur, j’étais alors caporal aux voltigeurs du 2eebataillon, et j’ai été nommé sous-officier après la campagne.

J’offris un cigare au brigadier, qui s’empressa de l’allumer, et je lui dis : — Un brave sous-officier comme vous, avec plusieurs campagnes, a certainement mérité la médaille militaire.

— Ce n’est pas la faute de mon capitaine, répondit-il en secouant la tête d’un air de tristesse, car il m’a porté deux fois; mais, monsieur, que voulez-vous faire contre la chance?..

Et le brave douanier me recommença l’éternelle histoire de la décoration qu’on a gagnée plusieurs fois sans l’obtenir jamais. Je me gardai bien de l’arrêter en si beau chemin et lui fis raconter ses campagnes et ses exploits, car il avait fait deux congés. Tout en causant, nous nous assîmes les uns et les autres sur les fougères, on vida la gourde, on consomma les vivres, on fuma nos cigares, bref, le temps se passa sans que le brigadier parlât de continuer la ronde, et ses subordonnés ne songèrent nullement à lui rappeler son devoir.

Il était à peu près trois heures du matin, et la pluie avait cessé. Le brigadier nous donna en manière de remercîment quelques conseils pour notre chasse, et emmena ses hommes. Domingo rentra alors tout joyeux en nous disant que la patrouille descendait du côté d’Olhette, et quelques instans après parut Sorrondo.

— Allons, messieurs, nous cria-t-il en entrant, debout ! voilà le matin qui blanchit : c’est le moment de l’affût.

Edouard et moi, nous nous frottions les yeux, et Domingo raconta aussitôt à son oncle ce qui venait de se passer. Je ne sais quel rôle important il me donna dans son récit, mais le contrebandier me dit en me serrant la main : — Je n’oublierai jamais le service que vous venez de me rendre.

Rien ne dispose moins à la chasse qu’une nuit passée sans sommeil. Ce fut par amour-propre que nous allâmes, Edouard et moi, nous accroupir avec Manuel au bord d’un ravin pour attendre des vautours qui ne parurent point. En revanche, à mesure que le soleil montait dans un ciel sans nuages, nous vîmes se dorer peu à peu tous les pics du Guipuscoa et de la Navarre, puis à travers de légères vapeurs la lumière se répandre sur les vertes campagnes du Labourd et sur l’Océan. Nous revînmes à Aguerria très satisfaits de notre excursion. Notre hôte, pour me faire plus d’honneur, me mena dormir dans sa chambre, m’assurant qu’il n’avait pas besoin de sommeil. Je me jetai tout habillé sur son lit et m’endormis aussitôt.

A mon réveil, dès que j’eus ouvert la fenêtre et les contrevens, je remarquai dans la chambre un objet auquel je n’avais pas pris garde le matin. C’était un trophée d’armes qui couvrait presque entièrement une des parois : plusieurs sabres d’officiers de divers