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cette sympathie ne fut pas de longue durée, car dès les premiers coups les Espagnols prirent l’avantage.

Je m’étais glissé au premier rang des spectateurs, comme font les vrais amateurs du jeu, pour mieux suivre la partie; mais voici qu’en regardant de l’autre côté de la lice vers la tribune des juges, j’aperçus derrière eux, assise avec quelques dames du pays, cette jeune fille qui m’avait donné le prix à Lesaca, vêtue et coiffée encore de la même façon. Je n’oublierai jamais l’impression que me fit cette seconde rencontre. Ce fut comme un coup que l’on m’eût donné au cœur, et je ne vis plus rien autour de moi. Il me sembla pourtant que la jeune fille m’avait reconnu et qu’elle rougissait; je crus que c’était à cause de ma belle ceinture brodée dont je m’étais paré.

Vous savez qu’il y a dans toutes les grandes parties de paume des juges choisis en commun par les deux camps, qui occupent une estrade d’où ils prononcent sur les coups douteux et marquent les points gagnés par chaque camp. Ce sont toujours des hommes notables de l’endroit ou des environs. Mlle Errecalde causait fréquemment avec l’un d’eux, qui me parut de loin un assez bel homme d’environ cinquante ans et d’une tournure militaire, avec la moustache, l’habit boutonné et un petit ruban rouge. Je le montrai à l’un de mes voisins et demandai qui il était. On me répondit : — Vous ne le connaissez pas? c’est Errecalde, celui qui a fait les guerres de Napoléon avec le général Harispe. L’ancien gouvernement l’avait mis en demi-solde; mais à présent il est maire d’Ascain, c’est un grand amateur de pelota. — Le même voisin obligeant m’apprit aussi que cette belle personne qui causait avec le maire d’Ascain était sa fille.

Pendant que je tenais mes yeux attachés sur elle, indifférent pour la première fois de ma vie à un jeu de paume, la partie continuait au milieu du silence glacial des spectateurs, car les Guipuscoans se trouvaient beaucoup plus forts que les Labourdins et les battaient à plate couture. En général, vous verrez les joueurs d’Espagne l’emporter sur ceux de France, parce qu’ils obéissent mieux au chef de la bande. Ceux-ci faisaient quinze à tous les coups, si bien que la partie, au lieu de dix ou douze jeux, n’en compta que quatre ou cinq et fut terminée en moins de deux heures. Les Labourdins, qui avaient sans doute perdu de gros paris, contenaient à peine leur colère, tandis que les vainqueurs se promenaient dans l’arène d’un air de triomphe.

Garmendia passa justement devant moi, me reconnut et s’arrêta avec un rire insolent : — C’est bien dommage, dit-il, que tu ne te sois pas trouvé avec ces maladroits. J’aurais eu un double plaisir à te mettre par terre avec eux. — Le rouge me monta au visage, et il y eut