Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/681

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la vallée du côté de la France ; nos contrebandiers ne parurent point. Je pensai que des soldats les avaient surpris et dispersés. Le matin en effet un hachero, un porteur, arrive à moi tout sanglant d’une blessure et me raconte que deux de ses camarades ont été tués, mais que les ballots sont sauvés, et qu’il cherchera des porteurs pour la nuit suivante.

Je restai à mon poste sur la montagne, où le vent de mer apporta dans l’après-midi une violente tempête. La pluie tombait drue, et nous n’avions qu’une méchante cabane de berger pour nous abriter.

— Voilà qui va bien, dis-je à mon sergent, les ballots passeront cette nuit.

— C’est vrai, capitaine, répliqua le sergent, Bassa-Yaon travaille pour nous; il sera toujours Basque. — Si vous l’ignorez, Bassa-Yaon, c’est-à-dire le Seigneur-Sauvage, est pour nos paysans un être fantastique qui règne sur les montagnes et gouverne les orages.

Dans le moment, un soldat vient me dire que des mulets chargés arrivent par le sentier d’Olhette, ayant peine à se tenir avec leurs conducteurs sous les tourbillons du vent et de la pluie. Je sors de la cabane et je vois les mulets précédés d’une femme à cheval.

— Bassa-Yaon a pris une singulière figure, dis-je à mon sergent. Un cri de joie me répond, et la jolie tête de Paula sort d’un capuchon tout ruisselant de pluie.

— La nuit dernière, me dit-elle, nos meilleurs contrebandiers ont été tués ou blessés par la troupe. Tout le village était dans l’épouvante, personne ne voulait plus s’exposer. Mon père étant absent, j’ai chargé des muletiers qui sont à lui de prendre vos ballots, et je les ai accompagnés jusqu’à la frontière, parce que les douaniers me connaissent; l’orage nous a surpris dans la montagne. Je savais bien que je vous trouverais ici.

Voilà, mon ami, de quoi était capable cette vaillante fille : vous conviendrez qu’un soldat comme moi, en lui donnant son cœur, l’avait bien placé.

Quand nous fûmes ensemble dans la cabane, faisant tant bien que mal sécher nos manteaux devant un feu de bruyères, Paula me supplia de ne pas l’abandonner plus longtemps. Il ne lui était que trop facile de m’attendrir; je promis tout ce qu’elle voulut. J’écrivis le lendemain à un officier de l’état-major-général pour connaître les mouvemens de l’armée royale; il me répondit, contre mon attente, que l’infant don Sébastien ne tarderait pas à rentrer en campagne et que mon bataillon devait être rappelé pour faire partie de l’armée d’opérations. Cette nouvelle me jeta dans une cruelle perplexité. Je crois pourtant que, si l’on m’eût alors envoyé à l’armée, je n’aurais pas refusé; mais les choses tournèrent bien autrement.

Garmendia ne me laissait guère de repos. Un jour que j’avais été