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de la conquête, beaucoup de cruelles injustices. Il est vrai de plus qu’il serait excessif d’attribuer à ces mots de république et d’empire un sens destiné à demeurer dans l’histoire toujours le même, et, sans avoir égard à la différence des temps, de comparer des régimes très divers. Il subsiste cependant qu’il appartient en effet à une république aristocratique de savoir fonder une vaste domination, comme ont fait l’Angleterre et Venise, par la ténacité de desseins et la longueur de vues, et, en second lieu, que le nom d’empire est demeuré pour désigner proprement l’absolue suprématie d’un seul homme tenant dans sa main une société abaissée sous le niveau de l’égalité ultra-démocratique. Il s’ensuit que nous ne devons pas trop médire des scrupules d’un Montesquieu. Qu’on admire, si l’on veut, la grande tâche administrative et civile accomplie par l’empire romain; mais on ne saurait oublier que cet empire a enfanté un monstre, c’est-à-dire un système de gouvernement qui consiste à réduire les meilleurs au niveau des plus bas en livrant le pouvoir au caprice d’un seul homme, et en se servant de l’égalité pour tuer la liberté. Ce système a fait son chemin dans l’histoire : il est devenu le châtiment des peuples qui s’abandonnent : il s’appelle césarisme.

Ce n’est pas le césarisme qu’Amédée Thierry a voulu célébrer; on ne l’a jamais vu exalter le despotisme ni la plèbe; il n’a pas sacrifié dans ses sympathiques éloges la liberté à l’égalité; il a eu pour les temps où s’est produite la pensée de l’indépendance politique, et pour les caractères qui s’en sont faits les interprètes, des admirations sincères et de reconnaissans souvenirs; il applaudit aux vertus républicaines de l’ancienne Rome, et accuse le peuple qui les a laissées tomber dans l’oubli ; il est témoin attristé bien plus souvent qu’admirateur enthousiaste de certaines révolutions, dont il distingue les causes lointaines et les résultats prochains, qui font avancer, il est vrai, le char de l’humanité tout en sacrifiant de nobles causes, de respectables souvenirs. De la sphère élevée où plane ainsi l’historien, les vues intéressées disparaissent pour ne laisser place qu’à la sincère observation de la vérité philosophique et morale. Que les politiques viennent après cela revendiquer le bénéfice d’assimilations plus ou moins fausses dont ils prétendront autoriser leurs calculs, il n’en est pas responsable, et ne s’en fait solidaire que dans la mesure de ses convictions et de ses affections. Ce qu’Amédée Thierry a obtenu de faveurs sous l’empire renouvelé n’a pu être offert et n’a profité en réalité qu’à l’homme de lettres, au penseur, au savant.


II.

Comme il avait observé la formation du monde romain, Amédée Thierry devait en étudier aussi la décadence et le [illisible] dente et inspirée.