Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/712

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des Huns en Orient qui a chassé les tribus gothiques de leurs demeures sur les bords de la Mer-Noire, et les a forcées à chercher un refuge dans l’intérieur de l’empire. L’irruption de cette race doit intéresser l’historien des premiers commencemens de l’Europe moderne, non pas seulement à cause de ses rapports avec l’invasion germanique, mais parce qu’elle a suscité dans les pays latins et chez leurs voisins barbares, outre les résistances nationales, des émotions et des terreurs dont on voit persister la trace dans une série de traditions qui forment en partie l’histoire intellectuelle et morale de ces peuples. Bien plus, certains groupes hunniques ayant pu se fixer dans la vallée du Bas-Danube, après la mort du conquérant et la destruction de son empire, le souvenir de leurs destinées importe à qui veut connaître le mode de formation de cette partie de la société européenne. Les Magyars d’aujourd’hui, par exemple, se rattachent par l’origine aux tribus d’Attila, et l’on sait de quelle reconnaissance ils ont salué les études d’Amédée Thierry, qui leur reconstruisait leur propre histoire.

L’invasion des barbares dans l’empire ne s’est pas faite uniquement par ces coups de force auxquels de grands déplacemens de peuples donnaient lieu et qui rompaient toutes les digues; elle s’est faite aussi par de sourdes et lentes infiltrations : nous avons tenté ici même naguère de montrer avec précision ces différences. Sans disserter spécialement à ce sujet, Amédée Thierry s’est placé dans son œuvre à un point de vue qui est très probablement celui de la pure vérité historique. Dans aucun livre on ne trouvera mieux décrite que dans ses pages la série de conditions diverses suivant lesquelles tant de barbares étaient parvenus dès le commencement du IVe siècle à s’établir au milieu des provinces romaines. Il y avait bien longtemps que Rome, fidèle aux plus anciennes maximes de sa politique, employait les Germains à son service ou à ses plaisirs, comme soldats, comme gladiateurs, comme esclaves. Tant que persistait la force d’assimilation dont elle avait pendant si longtemps disposé, ses duretés étaient, pour les peuples réservés à sa conquête, comme la rançon d’une participation future au grand rôle de leurs vainqueurs; cette force une fois épuisée, de tels rapports enfantaient le plus souvent la lutte et la haine. Toutefois l’affaiblissement intérieur de l’empire laissa pendant longtemps se continuer des empiétemens considérables qui allaient fixer l’ennemi au centre même des provinces. Il n’y a qu’à jeter sur la carte de l’empire au IVe siècle un regard général, en tenant compte des informations que donne la Notitia dignitatum, pour apercevoir que la barbarie gagne et s’étend à partir et en-deçà de chaque frontière. On y voit établies, comme dans les « confins militaires » de certains empires modernes, des colonies d’étrangers, de