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prendre les hostilités n’est pas encore venue, à ce qu’il paraît. Les carlistes ont aussitôt profité de la circonstance. N’ayant plus rien à craindre du côté d’Estella, ils ont de nouveau menacé Bilbao, ils ont poussé des partis jusque vers Santander. Ils se reconstituent, eux aussi, ils se fortifient en Navarre, et pendant ce temps les bandes carlistes de la Catalogne ou du Maeztrazgo, conduites par le frère du prétendant, par le prince Alphonse, viennent de descendre jusqu’au centre de l’Espagne, jusqu’à Cuença, à trente lieues de Madrid. Elles ont enlevé la ville de vive force, elles ont saccagé, brûlé, pillé, fait des prisonniers en assez grand nombre. Pendant plus de cinquante heures, on a résisté à l’attaque de 7 ou 8,000 hommes, il a fallu se rendre. Les colonnes envoyées pour secourir la ville sont arrivées tardivement, après le départ des carlistes. Tout ce qu’on a pu faire a été de reprendre aux bandes du prince Alphonse les 700 prisonniers qu’elles emmenaient. C’est quelque chose ; mais le coup de main était accompli, — et cela s’est passé en pleine Castille-Nouvelle, entre Valence et Madrid !

Ainsi se poursuit cette désastreuse guerre, et, en se prolongeant, elle se complique de tous les excès de la force, elle tend à prendre un caractère de vraie barbarie. À la suite de la mort de Concha et de la retraite de l’armée, les carlistes ont fusillé des prisonniers autour d’Estella, et même parmi les prisonniers il s’est trouvé un correspondant de journaux allemands, ancien officier prussien, le capitaine Schmidt, qui a été impitoyablement passé par les armes comme les autres. Le prétendant prend des otages libéraux qu’il menace d’exécution sommaire à la moindre tentative des navires de l’état sur les côtes de Biscaye. Le gouvernement de Madrid, à son tour, répond par une loi des suspects, par un décret de confiscation frappant tous ceux qui sont affiliés aux carlistes ou qui servent leur cause. Les biens confisqués seront employés, dit-on, à dédommager les victimes de la guerre. Les suspects, jugés par des commissions militaires, seront fusillés ou déportés, et comme l’Espagne tout entière est aujourd’hui en état de siège, cela pourrait aller loin, si l’excès de ces rigueurs n’était limité d’avance par des impossibilités d’exécution. Arbitraire violent de part et d’autre, incendie des villes saccagées, menaces de se fusiller mutuellement, destruction des chemins de fer et de tous les moyens de communication, interruption de l’industrie et du commerce, voilà ce que rapporte à l’Espagne cette guerre allumée depuis bientôt deux ans dans les provinces du nord par un prétendant qui invoque le nom de la religion. Les carlistes ne réussiront pas, ils n’ont point un drapeau auquel l’Espagne puisse se rallier ; ils n’ont pas même cet avantage de représenter le principe de la légitimité royale comme ils le disent, comme le répète leur prince, qui n’est que le prétendant de l’absolutisme et d’une réaction furieuse. Ils ont pu profiter des déchiremens intérieurs d’un pays bouleversé par les révolutions, ils sont hors d’état de pousser à bout leurs succès, et s’ils se dé-