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Goro, j’ai déjà trop fait attendre dans la mort mon frère aîné, je veux le suivre, et ne veux pas recevoir les bienfaits de l’ennemi de mon grand-père, — Vous devriez cependant pardonner, comme Inobumaro vient de vous pardonner; mais, puisqu’il en est ainsi, que la destinée s’accomplisse et qu’on lise la sentence. » Gummaru déploie une feuille et lit : au lieu d’une sentence de mort, c’est une donation de rentes à la mère de Goro. Celui-ci, vaincu par la reconnaissance et par la grandeur d’âme de son ennemi, déclare qu’il embrasse le service du shiogoun et oublie ses rancunes. On l’entoure pour le délivrer de ses chaînes.

Il nous a fallu laisser de côté bien des détails, bien des traits intéressans, pour résumer en quelques pages ce qui remplit une journée; nous voudrions en avoir dit assez pour permettre aux lecteurs de juger cet art dramatique, naïf et sincère, qui parfois crée l’intérêt et l’émotion sans effort, comme il engendre aussi l’ennui sans vergogne, à la façon d’un chroniqueur exact et simple. Nous ne pouvons que signaler ici sans nous y arrêter l’étrange code de morale qui ressort de cet acharnement à la vengeance poursuivie avec la complicité du spectateur, de cette loi sanguinaire de la vendetta, et des autres sentimens qui se sont fait jour au cours de la tragédie. Il nous tarde de monter sur la scène comique.


III.

Le caractère excessif et réaliste de l’art japonais, de même qu’il a poussé la tragédie dans le mélodrame, devait faire verser la comédie dans le vaudeville; mais dans ce genre inférieur il est arrivé à un développement plus complet et à des qualités plus saisissantes. On s’amuse de bon cœur à ces représentations, et l’Européen, qui s’y rend par curiosité plus que par attrait, est tout étonné d’y avoir ri. Les sujets sont tous empruntés à la vie familière, et les personnages finement observés; l’action, qui n’est plus gênée par la fidélité historique, comme dans le drame, marche avec plus de hâte et d’unité. La justesse des caractères et des sentimens n’est pas moindre; elle ressort d’autant mieux que, les types légendaires et les grands sentimens de convention étant écartés, il ne reste à étudier que de simples mortels et des passions communes. Le ton devient infiniment plus simple. Un jeu d’un naturel exquis, d’une vérité frappante, met les acteurs d’Yeddo à la hauteur de nos bons comédiens. Comme eux, les auteurs se sentent en communion beaucoup plus intime avec un public auquel pas un mot du dialogue n’échappe. On fait donc une part plus grande à l’invention dramatique, à la recherche de situations nouvelles, dans les limites encore étroites tracées par les mœurs théâtrales, et ce que la pièce