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elle veut se noyer, elle est saisie par deux malfaiteurs qui la maltraitent et vont la vendre comme guécha à Kamakura, sous le nom de Kosan. Bunnojio l’a crue morte. Kinguro apprend à Kioto la nouvelle. Il revient en toute hâte à Kamakura, où il se livre à son désespoir. Un jour, ses amis, pour le distraire, réussissent à l’entraîner dans un des quartiers de plaisir. Le hasard lui fait rencontrer là une sœur d’O’Kamé, qui, par une série d’aventures, se trouve dans la même ville que sa sœur et y exerce la même profession sans la connaître. Elle apprend par Kinguro la mort de cette sœur, et, tout entière à son deuil, lui envoie, pour l’amuser à sa place, une autre guécha dont tout le monde vante la beauté. C’est, comme on s’y attend bien, O’Kamé, ou plutôt Kosan. En retrouvant celle qu’il croyait morte, sous le costume de chanteuse, la douleur de Kinguro se transforme en indignation ; il accable la jeune fille de reproches sanglans, l’accuse d’être une. apparition menteuse, un tanuki (blaireau) déguisé en femme pour se jouer de lui. Elle essaie de lui expliquer par quelle série d’infortunes elle n’a embrassé ce métier que pour n’en point épouser un autre que lui. Réduite au désespoir, elle va se frapper au cœur d’un poignard quand il l’arrête ; à son tour, il demande pardon de son injuste colère : le drame tourne à l’idylle et la réconciliation s’opère aussi complète que possible. Le romancier use en pareil cas d’une liberté de pinceau dont le dramaturge ne se prive guère non plus à l’occasion, et le graveur chargé de les illustrer tient à honneur de ne pas rester en arrière : naïveté qui n’offusquera personne tant que la pruderie n’en aura pas fait du cynisme. Rachetée de ce honteux esclavage, installée en secret dans une maison isolée, O’Kamé ne tarde pas à devenir mère. Un secret pareil n’est jamais longtemps gardé. Bunnojio le père finit par connaître les relations de son fils avec Kosan ou O’Kamé, sans savoir cependant qu’elles ont porté leur fruit. Il emploie son autorité pour les faire cesser sans réussir qu’à resserrer l’union des deux amans. Son fils pourtant accepte une femme légitime de la main de son père; mais on devine qu’il fait un triste mari. Nous voici retombés dans la comédie analysée plus haut. Bunnojio se rend chez Kosan, lui reproche les désordres de son fils, l’abandon de son ménage. La pauvre fille ignorait même qu’il eût pris une femme, elle se courbe à son tour devant l’autorité paternelle et jure de le quitter; mais renoncer à lui sans renoncer à la vie, c’est au-dessus de ses forces. Elle se tuera. D’ailleurs, elle morte, son fils pourra entrer dans la famille légitime. Kinguro vient la voir; elle lui cache la visite qu’elle a reçue, les projets qu’elle médite, lui parle longuement de l’avenir de son jeune enfant Kinnosuké, lui fait mille recommandations