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pour le cas où elle viendrait à mourir et le retient longtemps pour se rassasier de cette vue chérie. A peine est-il parti qu’elle conduit son enfant chez sa sœur; puis elle le quitte en lui disant un adieu plein de larmes : elle va faire un voyage, elle sera longtemps absente, il ne faudra jamais réclamer sa maman. Le tableau est des plus touchans. L’enfant lui tend les bras et veut l’accompagner dans son voyage. Elle finit cependant par s’arracher à son émotion, rentre chez elle, fait fermer la maison comme on fait chaque soir, écrit longuement ses adieux à la vie et à Kinguro, puis se tranche la gorge avec un rasoir. La maison dort encore quand Kinguro arrive le matin, s’informe de ce qu’elle a fait la veille, et, la supposant fatiguée de sa course, veut, sans l’éveiller, la voir dormir; il entr’ouvre la porte et la trouve baignée dans son sang. L’enfant vient à son tour, suivant une coutume très respectée des Japonais, prier devant le corps de sa mère. Kinguro, dans son désordre, laisse tomber la lettre d’adieu de la pauvre femme. Bunnojio la trouve et apprend ainsi l’existence d’un enfant. Il regrette amèrement d’avoir poussé Kosan à cette extrémité, va voir le petit orphelin, s’attendrit sur son sort, le prend chez lui et le fait élever par sa bru. Tout le monde se trouve ainsi réuni sous l’autorité du vieil aïeul resté à Kioto. Il n’a fallu pour cela que faire disparaître violemment la mère de Kinguro et celle de Kinnosuké. Le principe est maintenu, la morale orientale est satisfaite. Kinnosuké grandit, se marie, et devient chef de famille. Ainsi finit ce roman qui n’embrasse que trois générations dans sa première partie; il en a une seconde, dont le lecteur nous saura quelque gré de lui faire grâce.

Ce sont, on le voit, les mêmes types, les mêmes personnages qu’au théâtre. Dans le choix de leurs acteurs et de leurs sujets, les auteurs ne semblent nullement se préoccuper de briser l’étroite limite où les préjugés et les mœurs les tiennent enfermés. L’imagination populaire a, comme l’érudition, ses alignemens tout faits, ses casiers tout préparés, son ordre composé d’avance, et ses règles dont elle ne peut s’écarter. On répète de génération en génération les mêmes choses avec une fidélité séculaire, comme chez nous les refrains des villanelles ou des jeux d’enfant.

Sur le toit de la maison voisine, un bambou a poussé une branche,


dit la chanson des guécha s depuis cent ans; si elle sort de cette insignifiance, c’est pour tomber dans une licence d’images qui interdit toute citation.

Est-ce au théâtre ou au conte qu’il faut rattacher ces récits en plein vent, écoutés avidement par la foule dans les carrefours