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faisait tourner comme par dérision les débris de la roue du moulin, une alouette montait dans le ciel bleu sans nuage, dont la vue me remplit d’amertume pour la première fois. La nature ne sait rien, ne veut rien savoir de l’homme, de ses misères, de son désespoir, elle semble même le railler par son calme solennel et son sourire plein de soleil. — J’avançai en escaladant les monceaux de ruines, sans rencontrer une autre créature vivante que le grand chien blanc de Théodosie, qui, la tête basse, me regarda d’un air farouche, grogna, montra les dents, puis tourna les talons. En suivant toujours le sentier semé d’une couche épaisse de blé brûlé, j’atteignis enfin la grande pierre où était toujours assise Théodosie dans le même état que la veille, devant ses biens dévastés. Je lui parlai, elle ne répondit pas; je l’appelai par son nom, elle me regarda stupéfiée et ne parut pas me reconnaître, puis sa tête retomba.

Tout à coup dans le buisson voisin se dressa une figure pâle, mais impassible, aux yeux étincelans de fièvre. C’était Cyrille.

— Théodosie ! appela-t-il.

Au son de cette voix, elle trembla. — Femme, es-tu folle? dit le voleur en venant la secouer par les épaules. Théodosie se tourna furieuse, grinçant des dents, serrant les poings; ses yeux s’injectèrent de sang. — Eh bien! que fais-tu? demanda froidement Cyrille... Vis-tu encore?

Théodosie resta muette.

— Tu es donc encore une fois veuve; Dieu soit loué ! Bientôt nous pourrons célébrer notre noce! Nous voici pauvres tous les deux,... pauvres comme rats d’église;... viens! Ne le veux-tu pas? Je t’attends avec mes compagnons au cabaret, entends-tu, mendiante, paon déplumé! Tu peux venir maintenant demander à Cyrille de te prendre après la huppe. Ha! ha! ha! — Là-dessus il lui tourna le dos en chantonnant avec insolence :

Une fière paonne, une paonne
Avait épousé une huppe.
Witt! witt! witt! witt! witt! witt!

— Va-t’en ! lui dis-je.

— Je m’en vais. Au cabaret donc, mon trésor! cria-t-il en traversant négligemment le sentier.

Elle persistait à se taire. Nous entendîmes sa chanson longtemps après qu’il eut disparu lui-même. Le vent nous apportait encore ce moqueur witt, witt, witt !

Les voisins, les gens du village vinrent à leur tour pour voir ce qui restait de l’incendie. Ils entourèrent la veuve : celui-ci apportait une écuelle de soupe, celui-là du pain, cet autre un poulet, des