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de seconde ville de France, le titre de la primatie des Gaules, une richesse énorme, fruit d’une industrie et d’un commerce séculairement célèbres, et cependant avec tous ces avantages Lyon jusqu’à ces dernières années n’avait réussi qu’à gagner le renom d’une des villes les plus laides et les plus mornes qu’il y eût au monde. Écoutez parler ceux qui ont visité Lyon il y a seulement vingt-cinq ans; l’impression qu’ils en ont conservée est invariablement morose. Une grande ville négligée avec une certaine correction bourgeoise dans sa négligence, une certaine affectation de médiocrité et comme un compromis malheureux entre l’incurie des villes du midi et la tenue des villes du nord, des rues mal tracées et d’aspect maussade, peu de goût dans les édifices particuliers, nul souci de l’élégance en aucune matière, voilà quel est généralement le tableau qu’ils retrouvent dans leurs souvenirs. Celui qu’ils tracent des mœurs et des habitudes est à l’avenant. Selon eux, la vie y était cachée, non sans quelque dissimulation qui parfois méritait le nom d’hypocrisie. Une stricte décence extérieure était de rigueur, et il régnait entre les citoyens une sorte d’émulation à se renfermer dans une apparente modestie. Nulle part l’amour du paraître, si fort chez les méridionaux et si bien décrit par d’Aubigné dans son Baron de Fœneste, ne sembla avoir moins de prise sur les cœurs. Aucun riche ne vivait selon sa fortune, comme s’il eût craint d’en révéler l’état aux regards de l’envie. Nul besoin de luxe, on ne comptait pas trente voitures particulières dans Lyon il y a vingt ans; le vice lui-même, qui partout et toujours a aimé l’extravagance et l’éclat, s’enveloppait de ténébreuse discrétion ; bref, tout le faste du Lyonnais se concentrait à l’intérieur dans les dépenses de la table, qu’il aimait à avoir non somptueuse et brillante, mais abondante, choisie et soignée.

A quelle cause faut-il attribuer cette absence de toute grâce et cette insouciance de toute parure dans une ville faite à souhait pour désirer et acquérir ce qui est le charme de la vie ? Il y en a plusieurs, mais toutes peuvent, je crois, se ramener à une seule, l’empire exclusif de l’esprit du commerce. Le Lyonnais en général n’est pas un pays aristocratique, et à Lyon particulièrement cette influence a été à peu près nulle. En sa qualité de seconde ville de France et de siège primatial des Gaules, Lyon a reçu des visites de souverains et de princes, logé des conciles, contemplé des fêtes magnifiques; mais le lendemain de ces grands jours elle redevenait, comme la veille, ville de boutiques et de travail. La grandeur y a passé et repassé, elle n’y a jamais fait que des haltes; Lyon n’a jamais été un véritable centre de noblesse. Les familles nobles de la province n’ont eu qu’une influence médiocre et passagère sur les affaires de cette ville, et n’en ont eu aucune sur sa vie. Or, il faut bien le dire, en