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que les saints ont dit de tendre à Dieu, disait un jour devant moi un homme d’esprit, on ferait le bonheur d’une infinie quantité de femmes, » et cette parole, sous sa légèreté inoffensivement irrévérencieuse, touche avec vérité au fait moral que nous venons d’indiquer, la sainteté n’ayant été que l’expression souveraine et la traduction parfaite de cette disposition à poursuivre le bien avec tendresse. Tout saint en effet fut un amant, car il ne se contenta pas de chercher le principe des choses, — cela est l’affaire du sage, — mais il reporta au principe des choses les sentimens et les émotions réservées jusqu’alors aux créatures. Un autre témoignage de ce même état des âmes, c’est la quantité considérable de monumens qui ont été élevés par des affranchis à leurs maîtres et à leurs maîtresses. Ah certes ! il est permis de croire que tous ces affranchis ne furent pas gens vertueux dans le sens sévère du mot, et que la vertu ne fut pas toujours non plus le mobile de leur affranchissement. Animaux favoris, complaisans de vices, instrumens de plaisir, voilà ce que furent la plupart d’entre eux, plus probablement qu’intendans fidèles ou serviteurs austères, et la reconnaissance de la sensualité satisfaite ou du vice servi fut plus probablement encore la cause de leur affranchissement; en outre on peut trouver que beaucoup n’ont pas un grand mérite à cet acte de piété, car ils ont pris soin de nous apprendre qu’ils étaient héritiers du maître dont ils honoraient les mânes; cependant, même à prendre ainsi les choses au pis, le double fait de la bonté des maîtres et de la reconnaissance des serviteurs n’en subsiste pas moins, et il n’en témoigne pas moins, tant il se présente avec fréquence, de cette inclination générale du monde d’alors vers les sentimens plus particulièrement tendres de notre nature.

Lyon possède un musée de peinture qui est parmi les plus riches de nos provinces; ce n’est pas que les toiles y soient en fort grande quantité; mais toutes sont des originaux ou des ouvrages authentiques, rien de douteux et rien de faible. Quelques-unes de ces toiles sont fort belles et honoreraient le musée le plus royal, par exemple un tableau d’Albert Durer représentant un vœu de l’empereur Maximilien à la Vierge, œuvre à la fois naïve et savante, d’un coloris quelque peu sec cependant, en somme plus instructive à étudier qu’agréable à regarder, — un tableau de Philippe de Champaigne représentant la découverte des reliques de saint Gervais et de saint Protais, vaste composition à la fois compliquée et savamment ordonnée, — deux Rubens, dont un peut soutenir la comparaison avec les plus belles œuvres de ce grand peintre, non pour la profondeur de la pensée ou le pathétique du sentiment, mais pour l’adresse du pinceau et l’habileté de la mise en scène. Citons