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que Bonnet, Fabisch et Bonnassieux, soit d’artistes du Lyonnais, tels que Foyatier, nous n’avons pas à y insister après ce que nous avons dit dans notre précédent chapitre de la sculpture lyonnaise ; mais il est une œuvre d’un artiste étranger que nous ne pouvons nous dispenser de saluer avant de quitter ce musée, le buste de Mme Récamier par Canova. Deux siècles et demi avant Mme Récamier, une autre Lyonnaise s’était acquis aussi une grande célébrité par sa beauté non moins que par ses passions et ses talens ; mais, si le cœur de Louise Labé, la belle Cordière, fut plus inflammable et plus chaud que celui de Mme Récamier, je doute que sa beauté ait jamais été pareille. Pour la première fois, je comprends réellement la réputation que les contemporains firent à cette femme distinguée et qu’ils nous ont transmise. L’image que nous en a laissée Gérard, gracieuse, pâlotte, coquettement pudique, fraîche à la vue comme un pur glaçon est frais au goût, tranquille avec de la langueur, fine avec quelque sécheresse, fait apparaître une personne d’un charme exquis plutôt qu’une personne d’une beauté souveraine. Tout autre est le buste de Canova ; ici la beauté est certaine, indéniable, triomphante. Canova a-t-il exagéré son modèle ? Séduit par la correction des traits que son ciseau s’était chargé de reproduire, a-t-il, cédant à son amour pour la pureté et l’harmonie des lignes, complété, agrandi, poussé jusqu’au type la beauté plus imparfaite qui posait devant lui ? A-t-il, surprenant la pensée à laquelle la nature avait obéi en créant ce visage, eu l’ambition d’achever ce que la grande et universelle ouvrière avait seulement indiqué ? Nous ne savons ; seulement, en sortant du musée de Lyon, nous avons emporté l’heureuse certitude qu’il avait existé une personne aussi belle que les femmes de Raphaël, quoique dans un ordre un peu différent. C’est moins riche et moins plein sans doute, mais c’est aussi pur, et on peut presque oser dire plus élégant. Ce n’est pas la seule ressemblance que cette beauté ait avec celle des femmes de Raphaël, elle en a encore une autre plus étroite et plus importante, s’il est possible, c’est qu’elle fait naître également l’idée de quelque chose qui est fait pour être admiré et non pour être profané. S’il est vrai, comme on le dit, que Mme Récamier sut garder son cœur exempt de faiblesse et préserver sa beauté des désirs qu’elle faisait naître en foule, elle eut raison et remplit sa véritable destinée en ce monde, car une telle beauté, quand on la possède, assure des droits et impose des devoirs particuliers, le droit d’être adorée et de ne pas adorer, d’inspirer l’amour sans le rendre, le devoir de ne pas subir les souillures et les servitudes du plaisir, toute idée de profanation étant ici choquante comme une faute de goût dans un poème ou une incorrection dans une œuvre d’art.


EMILE MONTEGUT.