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comme si toute cette attention eût été pour moi. Quant à lui, il continuait sa partie sans se douter de rien.

La belle saison était venue. Je ne mettais toujours pas le pied hors de la maison et de la caserne. Lavrard me proposa de faire ensemble des promenades au bois le matin ou le soir. — Mais ma tante? — dis-je en soupirant. Il se chargea d’obtenir sa permission, et, pour y arriver, il redoubla envers elle de délicates attentions. Le prompt succès dépassa notre attente. Quand Lavrard fut reparti, ma tante me dit qu’elle n’avait pas cru devoir rien refuser à un garçon qui lui semblait toujours avoir la mort dans les yeux. Pour moi, je ne compris qu’une chose, c’est qu’on me donnait la clé des champs avec mon ami.

Oh ! les bonnes courses que nous fîmes alors ! Les bois étaient chose toute nouvelle pour moi. De quel pied joyeux nous les parcourions, le matin, quand les derniers arbres s’effaçaient encore dans la brume, ou le soir, lorsque le soleil dardait, au travers des massifs, sa gerbe de rayons! puis quand, le soleil couché, le vert universel brunissait, les troncs des hêtres et des bouleaux semblaient blanchir davantage, et les oiseaux, déjà couchés dans leurs nids, murmuraient leurs derniers couplets, que venait interrompre le sommeil! Lavrard malade?.. ma tante rêvait. Jamais je ne l’avais vu si heureux, si gai. On eût dit qu’il avait retrouvé les grands bois de châtaigniers de son pays natal. Au bout de huit jours, nous avions découvert plus de vingt nids, depuis le nid à peine ébauché, frêle tissu de brins d’herbe ou de crins, jusqu’au nid plein de petits déjà drus et forts. Lavrard avait un don pour trouver des nids. Nous nous contentions d’y regarder, et encore pas trop longtemps, il ne le souffrait point. Jamais nous n’y dérangions rien. Y avait-il des œufs : — N’y touche pas! murmurait-il, nous repasserons quand ils seront éclos. — Et lorsque les petits étaient sortis de la coquille, il sifflait pour leur faire ouvrir le bec, et il y fourrait des vermisseaux. — Quand leur mère reviendra, disait-il, elle sera bien, surprise de voir qu’ils ne l’ont pas attendue pour dîner. — Je me rappelle une de ses expressions qui pourrait peut-être me faire découvrir de quelle province il était. Quand nous trouvions un nid dont les petits avaient pris leur volée, il disait qu’ils s’étaient effourmiés. J’ai retenu ce mot-là, et j’ai oublié le nom de son village !

Une après-midi, nous étions couchés dans une chaude clairière, nous offrant tout entiers aux rayons du soleil. Les cigales chantaient autour de nous, des parcelles de mica brillaient parmi la mousse, l’air frémissait de chaleur. — Oh ! quand mes sept ans seront finis, dit Lavrard tout à coup, et il ajouta, comme se parlant à lui-même :