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la base est jeté du bord à la mer. Comment constater avec quelle rapidité le vaisseau s’en éloigne ? On a pris soin d’attacher aux trois coins du plateau, qui de cette façon se tient vertical, une corde divisée en parties proportionnelles du mille. Laissez la corde se dérouler librement pendant un espace de temps connu, quinze ou trente secondes, je suppose ; il vous sera facile de conclure de la quantité de corde filée le chemin que le vaisseau parcourt en une heure.

Muni du loch et de la boussole, sachant dans quel sens il marche, mesurant presqu’à chaque pas la grandeur de ses enjambées, d’où vient que le marin ne puisse, quand il ne recourt qu’à « l’estime, » se rendre un compte exact de sa situation ? D’où vient qu’après un certain nombre de jours de traversée il se trouve assailli de tant de doutes cruels ? C’est que la vitesse, par suite des inégalités de la brise, n’est jamais uniforme ; la route a des flexions qui s’apprécient mal ; frappé obliquement par le vent, le vaisseau dérive, des courans inconnus l’entraînent. C’est par centaines de lieues que Christophe Colomb et ses pilotes comptaient leurs désaccords. Qui de nous, — je parle des officiers de ma génération, — n’a pas vu l’estime entachée de 50, de 60, de 80 lieues d’erreur quand on venait du Brésil et avant qu’on fût rendu aux Açores ? Suivant la judicieuse remarque du plus grand des navigateurs, il n’existe qu’un moyen « précis et certain » de savoir où l’on est : il faut recourir « à l’astrologie. » Celui qui sait à propos consulter les astres « peut réellement avoir de l’assurance ; » les prédictions qu’il fondera sur ses calculs seront en quelque sorte des « visions prophétiques. »


II.

Le soin de propager l’instruction dans toutes ses branches fut longtemps, en pays catholique, le privilège du clergé, et l’on vit, — chose étrange, — la science des mouvemens célestes cultivée pendant près de trois cents ans avec une ferveur toute spéciale par ces corporations qu’on accuse d’avoir méconnu Colomb et d’avoir proscrit Galilée. Jusqu’en 1785 et en 1791, nous trouverons des cordeliers, des chanoines, des abbés séculiers, chargés des travaux astronomiques à bord des navires de d’Entrecasteaux et de La Pérouse. En 1673, c’était un ecclésiastique, l’abbé Denys, qui enseignait, « pour le roy, » l’art « de naviger » aux pilotes de la ville de Dieppe, a La navigation, leur disait-il, a deux pieds sur lesquels elle marche, la latitude et la longitude, » et l’abbé Denys avait parfaitement raison. Il définissait du même coup la méthode que nous employons pour marquer notre point sur la carte et les services