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Améric Vespuce, le premier directeur-général d’un dépôt des cartes et plans dont l’histoire fasse mention, avait bien pu se charger de dresser, sous le nom de « Padron Real, » le tableau officiel des positions géographiques ; il avait bien pu accepter la mission « de veiller à ce que les pilotes, revenant d’un voyage de long cours, indiquassent fidèlement aux officiers de la Casa de contratacion de Séville la situation exacte des terres nouvellement découvertes, » la navigation n’en acquérait pas pour cela des allures plus sûres. Il était difficile en effet d’asseoir une hydrographie sérieuse sur les informations de gens qui, au dire de Christophe Colomb, n’auraient jamais pu, si on les eût abandonnés à eux-mêmes, retrouver la route des pays où la fortune les avait fait aborder. Il fallait, — ce sont encore les expressions du grand navigateur que j’emprunte, — il fallait, en ces jours d’enfance astronomique, « constamment découvrir à nouveau. »

Si dans l’Océan-Atlantique, large à peine d’un millier de lieues, les mécomptes atteignaient parfois le tiers de cette distance, qu’on juge des erreurs qui se durent commettre dans cet autre océan trois ou quatre fois plus vaste qu’eurent à parcourir Magellan et ses successeurs. Là, si l’on est quelquefois parvenu, dans un sentiment d’équitable recherche, à restituer aux premiers navigateurs l’honneur de leurs découvertes, c’est parce qu’on a pris très sagement le parti de tenir peu de compte de leurs assertions géographiques. On a reconnu les peuples qu’ils avaient dépeints, les contrées qu’ils avaient décrites ; on ne s’est plus inquiété de leurs longitudes. C’est donc une ère véritablement nouvelle que l’on voit s’ouvrir lorsque Cook entreprend en 1772 son second voyage vers les terres australes. Cook emportait à bord de la Résolution une montre marine exécutée par Kendall sur les principes que venait d’exposer Harrison. Outre des horloges à pendule pour opérer à terre, des lunettes achromatiques pour observer les éclipses des satellites de Jupiter, La Pérouse, Vancouver, d’Entrecasteaux, possédaient également des chronomètres. Ce furent ces horloges portatives qui, dans leurs longues et périlleuses campagnes, les rattachèrent jusqu’à la dernière heure au méridien absent de la patrie. Aussi jamais le feu sacré n’eut-il pour le veiller et pour l’entretenir des vestales plus fidèles. Quand un vaisseau s’est lancé en plein océan, quand il va surtout à la découverte, de tous les officiers celui qui peut le moins négliger son service, c’est assurément l’officier qu’une honorable confiance a investi du soin de « garder le temps. » Des brisans sous la proue alarmeraient peut-être moins l’équipage que ce cri sinistre : « on a laissé s’arrêter les montres ! » Surpris par la révolution qui venait d’éclater en France, les officiers de d’Entrecasteaux se virent