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peu plus d’expérience leur aurait fait rapidement traverser, les premiers symptômes de scorbut, les dyssenteries, les fièvres, faisaient leur apparition ; les équipages commençaient à être décimés. Les Portugais nous transmirent leurs préjugés ; les plus illustres de nos amiraux sous la restauration en étaient encore imbus, tant les idées reçues peuvent conserver d’empire sur les meilleurs esprits. Aujourd’hui ce n’est plus par 16 degrés de longitude, ce n’est plus même par 20, c’est par 29 et 30 degrés que l’on cherche « à couper la ligne. » On y a gagné des traversées infiniment plus promptes et tout aussi sûres.

La prétention de dresser une carte générale des vents est un des espoirs de notre génération. Pour certains parages, quelque nombreux, quelque précis que soient les renseignemens qu’on recueille, il faudra s’en tenir à des probabilités. On aura seulement tant de chances pour cent de rencontrer juste ; mais il existe d’immenses étendues de mer où règne soit un souffle immuable, soit un souffle régulièrement périodique. Qui n’a entendu parler des moussons de l’Inde et des mers de Chine ? Là, quand le soleil échauffe de ses rayons presque perpendiculaires telle portion de l’Asie, le flot aérien s’y précipite ; la mousson du nord-est fait place à la mousson du sud-ouest : celle du sud-est se retire devant l’onde qui revient du rumb opposé. Le soleil s’éloigne, la terre se refroidit ; à l’instant l’alizé reprend ses droits. Le moment périlleux est l’époque où les deux courans s’avancent à l’encontre l’un de l’autre. Il se produit alors comme un couple de rotation qui, sous l’impulsion de deux forces adverses, tend à faire tourner l’atmosphère. C’est l’heure des ouragans, des typhons, des cyclones. Quand on le peut, on évite de s’exposer au changement des moussons.

Les tempêtes des tropiques ressemblent à la colère des caractères froids. La nature y sort de ses gonds. On voit alors le vent acquérir une intensité dont rien dans nos climats ne saurait donner une idée. La violence de ces tourbillons, près du centre surtout, semble irrésistible ; c’est une trombe gigantesque qui renverse tout. Heureusement on a étudié les lois de ces désastreuses convulsions. On sait dans quel sens se meut la colonne d’air, dans quel sens aussi elle tourbillonne. On l’observe à ses débuts, à ses premières manifestations menaçantes. Il n’y a plus que les fous ou les maladroits qui la bravent, les autres s’en écartent soigneusement. Il faut pourtant que le voisinage de la terre ou quelque autre circonstance impérieuse ne vienne pas contrarier cette manœuvre. Si la prévoyance du capitaine a été surprise, si la liberté de ses mouvemens a été enchaînée, il doit se préparer à une lutte formidable. Le navire, quelque forts que puissent être ses reins, ploiera sous la première étreinte. Il se redressera presque toujours, à une condition toutefois :