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« Le khan et ses ministres, écrivait Nikiphorof, n’ont aucune idée de ce qu’est un traité politique. » L’année d’après, en 1842, un autre envoyé, le lieutenant-colonel Danilefski, fut plus heureux. Le khan Allah-Kouli venait de mourir ; son successeur, Rahim-Kouli, plus conciliant, conclut enfin une convention de paix et d’alliance en vertu de laquelle le khan s’engageait à ne plus molester les sujets russes. Il est remarquable que ce document ne fixait aucune frontière entre les deux états limitrophes. Il convenait peut-être de ne pas être trop exigeant envers un potentat si étranger aux usages des nations civilisées. Le résultat le plus clair de ces négociations fut, suivant toute apparence, de fournir aux Russes d’assez bons renseignemens sur les états de l’Asie centrale et sur les routes qui y conduisent. Les successeurs de Kahim-Kouli ne se sentirent nullement liés par la convention qu’il avait signée de son sceau ; les tribus n’en continuèrent pas moins leurs déprédations. Dix-sept ans plus tard, lorsque le colonel Ignatief, — aujourd’hui ambassadeur à Constantinople, — se rendit à Khiva pour réclamer l’exécution du traité Danilefski, on lui répondit tranquillement que l’on avait perdu ce document, qu’il n’y en avait aucune trace dans les archives. Pendant cette période, Russes et Khiviens cherchaient de part et d’autre à s’assurer la domination sur les nomades, qui de leur côté ne voulaient reconnaître aucun maître. Si les Européens acquirent alors peu d’influence dans cette région, on l’attribue à la tyrannie et à la corruption des officiers russes, et aussi aux habitudes vexatoires de l’administration, qui prétendait organiser ces tribus, y créer une hiérarchie de chefs indigènes, doubler les taxes de capitation, toutes innovations auxquelles les Kirghiz répugnaient. À dire vrai, l’espace compris entre Orenbourg, Khiva et la Caspienne fut un peu négligé. N’ayant guère à gagner par une attaque directe sur le Kharizm, les Russes allaient en faire le tour par Samarcande et Bokhara.


II.

Les Russes avaient fait fausse route à vouloir pénétrer au centre de l’Asie par la vallée de l’Oxus. Quoi qu’en eût dit Pierre le Grand, ils finirent par reconnaître que Khiva est une impasse qui ne mène à rien, sans compter que l’on n’y arrive pas facilement. Leurs progrès furent au contraire rapides dès qu’ils s’engagèrent dans les vallées du Yaxartes et de l’Ili, plus fertiles, peut-être aussi moins bien défendues.

On a vu précédemment quelles avaient été la puissance de l’émir et la richesse de la ville de Bokhara aux siècles passés. Le commerce annuel entre cette capitale, entrepôt de l’Asie centrale, et les territoires