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cette « chose horrible » dont parle Bossuet, et que chaque état envisage avec assez d’appréhension pour que de fabuleux armemens se poursuivent partout sans relâche. C’est dans cette situation, alors que la fonte coule à flots dans les ateliers, que le génie moderne s’évertue à forger l’engin le plus meurtrier et que les budgets de tous les états s’épuisent, qu’un député de Merthyr, dans le comté de Galles, M. Henry Richard, portait la question de l’arbitrage devant la chambre des communes, et était assez heureux pour provoquer le vote qui a mis le gouvernement de la Grande-Bretagne en demeure de le proposer aux autres états comme le dernier et le meilleur moyen de terminer les différends de peuple à peuple. Bientôt le parlement italien suivait cet exemple et se déclarait fier de pouvoir contribuer à rendre le même service à l’humanité. On se tromperait toutefois en n’apercevant là qu’une explosion soudaine, qu’une généreuse motion inspirée par l’affligeant spectacle du développement progressif des armemens, par le récent exemple de guerres désastreuses et la crainte légitime qu’elles font naître en Europe. L’idée de l’arbitrage est une vieille idée qui a son passé et ses enseignemens ; elle a survécu à bien des régimes, mais tous les régimes ne lui ont pas fait, on le comprend, le même accueil ; elle n’est, à tout prendre, que la protestation des peuples contre l’institution de la guerre, qu’une entreprise résolue et sans trêve contre cette prétendue raison d’état qui ruine les états ; à ce titre, elle est élevée et civilisatrice.

L’idée de l’arbitrage est de plus une idée française. À l’occasion de ce mouvement, on a eu raison de rappeler, par de récentes publications, le nom de l’abbé de Saint-Pierre[1]. Au milieu de ses utopies, c’était justice de relever et de mettre en relief le projet qu’il avait longuement développé d’une médiation de souverains se réglant entre eux sur les choses de la guerre, et se soumettant, en cas de désaccord, au jugement des plénipotentiaires des autres alliés assemblés à cet effet. Restait le point capital du problème, le mode d’exécution, qui consistait en ceci : « si quelqu’un d’entre les grands alliés refuse d’exécuter les jugemens et règlemens de la grande alliance, négocie des traités contraires, fait des préparatifs de guerre, la grande alliance armera et agira contre lui offensivement jusqu’à ce qu’il ait exécuté les dits jugemens et règlemens, ou donné sûreté de réparer les torts causés par ses hostilités et de rembourser les frais de la guerre suivant l’estimation qui en sera faite par les commissaires de la grande alliance. » Le dernier mot de ce projet était donc la guerre encore, mais non plus la guerre d’envahissement

  1. L’Abbé de Saint-Pierre, par M. Molinari.