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Le terrain de l’arbitrage semblerait donc assez bien préparé, et de tels exemples s’imposent en quelque sorte à ceux qui sont appelés à organiser définitivement la justice internationale et à en arrêter les bases essentielles. Cependant nos tribunaux eux-mêmes rendraient de vaines sentences, si le pouvoir coercitif n’était là pour en assurer l’exécution. La saisie des biens et l’incarcération jouent un grand rôle dans les moyens employés par la justice. Quel sera donc le pouvoir coercitif entre les puissances ? Si la sentence est répudiée par l’une des parties, en quoi consistera la contrainte ? Nous avons vu que dans sa diète l’abbé de Saint-Pierre imposait aux souverains médiateurs le devoir de faire respecter leurs décisions. En effet, si l’arbitrage ne peut triompher des résistances, à quoi bon y recourir ? C’est l’objection qui se produit habituellement en cette matière. C’est aussi celle sur laquelle s’appuyait M. de Moltke le 16 février 1874, lorsqu’il entreprenait de démontrer au Reichstag qu’il importait d’entretenir une armée de 400,000 hommes sur le pied de paix pour douze années. « Un tribunal de droit international, s’il en existait un, disait-il, manquerait toujours de la force nécessaire pour assurer l’exécution de ses arrêts : ses décisions demeureraient, en fin de compte, subordonnées à la décision souveraine du champ de bataille. »

D’abord, à supposer que les résistances ne pussent être brisées que par la force des armes, faudrait-il en principe repousser des décisions qui presque toujours seront acceptées et loyalement exécutées ? Dès à présent, on peut citer de nombreux exemples d’arbitrage ; quelle est donc la partie condamnée qui a refusé d’obéir ? L’état qui répondrait aux juges par un défi aurait indubitablement à compter avec le sentiment public, et c’est là aussi une puissance. Enfin le jour où des états se ligueraient pour dompter la mauvaise foi d’un autre, la guerre aurait-elle donc le même caractère ? Cette guerre, entreprise pour assurer la paix, d’après les traités, par mesure de police, qui donc n’y souscrirait dans de telles conditions ? Et il est permis de croire qu’il serait très rarement nécessaire d’en arriver là. Qu’adviendrait-il, d’un autre côté, si la diète générale, ainsi que le proposait Bentham, mettait tout simplement l’état réfractaire, après un certain délai, au ban de l’Europe ? À notre époque, avec le grand mouvement du commerce, cette espèce d’excommunication, accompagnée de sévères mesures d’interdit pour les libres communications et les échanges, ne paraitrait-elle pas la plus cruelle, la plus flétrissante et la plus efficace des punitions ? Même dans l’ordre de la morale internationale telle que semblent la comprendre ceux qui comptent secrètement sur le droit du plus fort, serait-ce là si peu de chose qu’on le prétend ? C’est encore là peut-être ce