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qu’on ne le supposait une foule de manuels mal conçus, mal digérés, et de petits atlas en miniature sans aucune utilité pratique ; ce même public alors se persuada que les Allemands seuls possédaient de bons livres, de bonnes cartes, et qu’ils avaient raison de nous taxer d’ignorance.

Il est juste d’ajouter fort heureusement que ce ne furent pas seulement des géographes de rencontre ou des spéculateurs qui se mirent à l’œuvre. Des hommes éminens, jouissant d’une légitime autorité dans les autres sciences exactes, offrirent spontanément le secours de leurs lumières et d’une compétence que personne ne se serait avisé de contester dans le domaine spécial où elle s’était exercée jusqu’alors. La géographie a d’ailleurs le rare privilège de comprendre tant de choses dans son cadre incessamment agrandi, qu’à l’exemple de l’ancienne philosophie, qui embrassait, peu s’en faut, toutes les connaissances humaines, elle prétend, elle aussi, donner asile à toutes les sciences descriptives. Le cosmographe, s’appliquant à calculer les révolutions du ciel et à mesurer les surfaces de notre planète, n’est-il pas l’auxiliaire naturel du géographe ? le géologue démontrera sans peine qu’une bonne description du globe ne saurait éviter l’étude delà formation, de la nature et de l’histoire des couches inférieures ; le zoologue avec sa faune, le botaniste avec sa flore, l’anthropologiste avec ses crânes, réclament aussi leur droit de cité. Tout bon naturaliste d’ailleurs est voyageur, et tout voyageur intelligent est quelque peu géographe ; il n’y a pas jusqu’aux représentans de cette science née d’hier, dont le but est de faire revivre l’homme avant les âges historiques, qui ne prétendent aussi à une place auprès du philologue armé de ses cartes glottographiques : il faut donc les admettre dans cette enceinte cosmopolite, où l’ethnologue les a précédés, où il faut dès lors introduire encore, et l’archéologue avec ses monumens recueillis sur tous les points du monde civilisé, et l’épigraphiste, dont les mains sont pleines de révélations sur les divisions administratives et les institutions des empires disparus, et le numismate, qui met sous nos yeux ses médailles frappées aux noms des peuples, des royaumes et des cités. Quant à l’historien, personne ne lui dispute la possession d’un domaine qu’il a de tout temps partagé avec le géographe de profession ; mais voici l’économiste, plus exigeant que tous les autres, car il a entrepris de nous persuader que la description de la terre se réduirait à une stérile nomenclature sans son concours, et que la science géographique se trouve logiquement enchaînée à l’étude des intérêts et des besoins de la grande famille humaine. Les premiers occupans, pour dire la vérité, n’ont pas vu sans une certaine inquiétude cette invasion de toutes les sciences dans le champ paisible