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des boulangers du quartier Saint-Eustache. Il remplit le programme de point en point, et trouva des imitateurs parce qu’il avait réussi.

Un grand archéologue, le comte de Caylus, des académiciens et quelques hommes d’esprit s’associèrent pour exploiter la veine ouverte par Vadé ; ils changèrent l’étiquette afin de se mettre en grâce auprès du beau monde, le genre poissard devint le genre badin, et les salons les plus élégans accueillirent avec une faveur extrême les Écosseuses et les Mémoires des colporteurs, piquant tableau de la vie parisienne dans le bas peuple, comme on disait alors, et la petite bourgeoisie ; on peut feuilleter au hasard ces Œuvres badines de l’un de nos plus illustres érudits ; on y trouvera toujours quelque piquant tableau, quelque trait de vive satire. Dans les Mémoires du président Guillerin, un jeune homme veut se marier uniquement pour faire une fin ; il se présente chez Mme Chaudron et lui demande la main de sa fille aînée, Mlle Babiche ; la demande est accordée. Le jour est pris pour signer le contrat, mais au moment de la signature Mlle Babiche entre en fureur pour une légère contrariété ; le jeune homme réfléchit. Mme Chaudron l’engage à épouser la cadette, au lieu de l’aînée, parce qu’elle a, dit-elle, un meilleur caractère. — Si je n’ai point le bonheur d’être votre époux, dit le futur à Mlle Babiche, j’aurai du moins le plaisir d’être votre beau-frère. — Le notaire change les noms, et voilà le mariage conclu. Le lendemain, les nouveaux époux vont se promener à Catimini, bal public fort en vogue sous Louis XV. La mariée reconnaît dans Arlequin une vieille connaissance ; elle laisse là son mari, se perd dans la foule et va rejoindre son amant enfariné.

L’histoire de Galichet est l’une des meilleures plaisanteries des Mémoires des colporteurs. Un bon bourgeois s’est mis en tête d’épouser la fille d’un sorcier dans l’espoir d’arriver à une grande situation, et pour détourner ses amis de faire la même sottise il leur raconte ses infortunes. « M. Galichet, mon beau-père, était, dit-il, un des hommes les plus habiles et les plus savans de Paris. C’est lui qui fit teindre un cheval bai et le vendit pour un cheval noir. C’est lui qui fit passer pour l’âme d’un jacobin une grande fille habillée de blanc qui venait toutes les nuits voir le père procureur. C’est lui qui fit pleuvoir des chauves-souris sur le couvent des religieuses de Montereau le jour que les mousquetaires y arrivèrent. C’est lui qui fit paraître tous les soirs un lapin blanc dans la chambre de madame l’abbesse, sans que l’on parvînt à le prendre. Je ne finirais point, si le souvenir des tours qu’il m’a joués ne m’ôtait pas le souvenir de ceux qu’il a joués aux autres. Il est vrai que tout cela ne me serait pas encore arrivé, si je n’avais voulu avoir famille. C’est sans contredit une grande peine pour un honnête homme