Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que de se marier, tant il y a d’espèces différentes de femmes, sages, sensibles, prudes, coquettes, tristes, gaies, laides, jolies, le choix en est également embarrassant. Les sages n’ont que l’amour-propre : elles se remercient d’une vertu dont la nature fait souvent tous les frais ; l’orgueil fait leur sévérité ; l’obstination fait leur persévérance, l’aigreur forme leur caractère ; elles ne veulent point d’amans, ne peuvent avoir d’amis. Toute la charge retombe sur le pauvre mari, qui est en vérité bien à plaindre lorsque sa femme est impérieuse et qu’elle n’a qu’un serviteur. Je me suis étendu sur ce portrait des femmes vertueuses, parce que c’est le défaut le plus essentiel à corriger dans la société ; à l’égard des autres, je n’en dirai qu’un mot. Les femmes sensibles sont à charge, les prudes sont trompeuses, les coquettes sont inquiétantes, les tristes sont ennuyeuses, les enjouées vous raillent, les jolies vous laissent, et les laides vous restent.

« J’avais toujours fait ces réflexions pour demeurer garçon, mais il suffit de faire des réflexions pour être tenté de faire des sottises ; j’en suis la preuve, j’ai commencé par les unes et fini par les autres. Je fus possédé du démon du mariage ; cela m’en fit acquérir un autre, qui fut ma femme malheureusement : le premier passe, et le second demeure. C’était la fille de M. Galichet, elle s’appelait Claudine Galichet. Elle formait un composé de toutes les dames dont je viens d’avoir l’honneur de parler : elle avait la taille courte, les hanches grosses, les jambes rondes, les cuisses menues et l’humeur revêche. » Cela n’empêcha point un marguillier d’en tomber éperdument amoureux, et, comme M. Galichet n’aimait pas son gendre, il eut recours à son art diabolique pour attirer sur lui d’irréparables malheurs conjugaux ; il changea sa fille Claudine en lutrin, le marguillier en livre de plain-chant. Le pauvre mari eut la douleur de voir le lutrin et le livre s’enfuir ensemble du domicile conjugal, et ce ne fut encore là que le commencement de ses malheurs, car il eut lui-même à subir la plus étrange métamorphose. Fort heureusement M. Galichet ne gardait point rancune aux gens. Il rendit bientôt à son gendre sa première forme, et lorsque celui-ci fut désensorcelé, il fit imprimer son aventure et la vendit sur le Pont-Neuf par milliers d’exemplaires. Ce dernier mot nous donne la clé de cette bizarre histoire. Le comte de Caylus, en racontant les mauvais tours de M. Galichet, avait voulu tout simplement se moquer des Parisiens et de leur engouement pour les sciences occultes, car au XVIIIe siècle les esprits faibles étaient bien plus nombreux que les esprits forts, et, par une contradiction singulière, tandis que d’un côté l’irréligion grandissait dans l’ombre, de l’autre on voyait renaître une confiance aveugle dans l’impossible et le merveilleux. Le frère Augustin se faisait passer pour l’agneau sans tache, et trouvait