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Le professeur ouvrit de grands yeux. — Quel est le caractère de ces gens-là ? demanda Mlle Lola montrant ses petites dents blanches comme fait une souris qui grignote un biscuit.

— L’orgueil en forme le fond, répondit le curé. Ils appellent les autres toi ou vous sans plus de cérémonie, mais d’eux-mêmes ils parlent toujours comme des princes en disant nous. Rien n’égale leur hospitalité ; dans chaque maison, il y a la chambre de l’étranger. Ils sont d’humeur gaie, ne désespèrent jamais : — Ne te soucie de rien, agis toujours, — telle est leur philosophie. En même temps ils sont braves jusqu’à la témérité, francs et incapables de lâcheté ou d’artifice autant que de bassesse. Ils se sacrifieront volontiers à qui leur a fait du bien, mais malheur à qui les offense ! Leur vengeance ne connaît pas de bornes.

— Mon Dieu ! que j’aimerais vivre ici ! soupira Mlle Lodoïska, au milieu de cette nature originale, de ce peuple simple, noble et moral !

— Oh ! quant à la moralité !.. — s’écria le chirurgien, mais aussitôt il se donna une tape sur la bouche et alluma un cigare en souriant comme pour dire : — Nous aussi, nous fumons des cigares dans la montagne !

— Pour rentrer dans la question, reprit le jeune curé, nos montagnards se font remarquer par un orgueil national très rare chez des hommes sans éducation. Ils mettent au-dessus de tout ce nom de Houzoule…

— Qui veut dire ? interrompit Mlle Lodoïska avec impatience.

— Quelques-uns le font dériver du mot valaque houz, fort, expliqua sentencieusement le curé, d’autres racontent que les Houzoules se sont enfuis sur leurs chevaux noirs dans la montagne à l’époque où les Tartares donnaient la chasse aux hommes de la plaine pour emmener ensuite, liés comme un vil bétail, ceux dont ils parvenaient à s’emparer. Je crois plutôt, quant à moi, qu’il y a dans leurs mœurs particulières, dans leurs chants mystérieux, une constante et profonde aspiration vers la patrie primitive avec ses hauts rochers, sa grande mer…

— Où placez-vous cette patrie ? demanda le professeur avec intérêt.

— Où la placerais-je sinon au Caucase ? Un savant voyageur, le professeur Kolenati, a trouvé chez les habitans de ces contrées non-seulement le même type et les mêmes usages, mais encore la même race de chevaux, les mêmes dessins particuliers de broderie sur les chemises et sur les habits. Il est digne de remarque aussi que les autres Russes, de même que leurs plus proches parens les Germains, sont presque tous blonds, tandis que chez les Houzoules