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— Je ne crains rien au monde.

Dzvinka se leva et prépara le souper. Dobosch la suivait du regard et ne pouvait se lasser d’admirer sa belle figure illuminée par la flamme. Quand le souper fut prêt, elle mit sur la table des truites, de la viande, du petit-lait et de l’hydromel, et s’assit pour manger ; mais Dobosch ne touchait à rien.

— Pourquoi, demanda-t-elle, ne veux-tu pas manger ?

— Je ne puis.

— Attends, je vais te donner du feu.

Elle saisit un petit charbon rouge avec les doigts et alluma sa pipe, mais il la laissa s’éteindre. Il ne mangea, ni ne but, ni ne fuma, il ne fit que regarder Dzvinka, et pourtant ne remarqua pas tout de suite qu’elle soufflait sur ses doigts avec force.

— Qu’as-tu ? demanda-t-il.

— Rien.

— Tu t’es brûlé les doigts ?

— Qu’importe ?

— Sans doute, lorsqu’on se brûle le cœur, on souffre davantage.

— Qui donc serait assez fou pour cela ? C’est bien assez de se brûler les doigts.

Dobosch lui baisa longuement la main ; elle le laissa faire sans baisser une fois les paupières.

— Dzvinka, reprit le héros, je n’en peux plus.

— Que dis-tu ?

— Je voudrais que tu fusses une noble dame, et je voudrais être le serviteur que tu daignerais battre !

— Ce serait curieux.

— Dzvinka, j’ai soif de ta beauté comme le chevreuil de l’eau des sources où se baignent le soleil, la lune et les étoiles.

— Pense au péché, pense à Dieu !

— Je pense à Dieu, soupira Dobosch ; mais nous sommes là pour pécher, et lui pour prendre pitié de nous.

— En ce cas, au nom de Dieu, j’aurai aussi pitié de toi, dit-elle, — et elle s’en alla dans sa chambre, où Dobosch la suivit. Elle s’assit sur le coffre, qui était recouvert d’un beau drap rouge, lui présenta son pied comme fait une fiancée le soir de ses noces, et Dobosch le brave, se mettant à genoux, lui ôta les souliers.

À dater de ce jour, Dzvinka vint souvent nous trouver dans la montagne sur un cheval noir richement harnaché, car il lui faisait des présens comme un sultan. Nous prévoyions entre nous que cela ne pourrait bien finir. Cette femme rousse avait enlacé notre chef dans le filet d’or qui pendait sur ses épaules ; elle était la letaviza, l’étoile filante qui l’attirait aux précipices éternels. Quelques-uns