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sultat du procès eût été le même, et Dupin avait soin de toucher la convention par des points plus sensibles, afin d’assurer l’effet de ses conclusions. Ce qu’il reprochait en définitive aux fermiers-généraux, c’était d’avoir voulu jouer les pouvoirs publics par des délais calculés, des atermoiemens continus, comme s’ils eussent attendu une sorte de délivrance du retour de l’ancien régime. Comment expliquer autrement qu’ils eussent mis deux ans à obéir aux décrets de la convention, et qu’au moment même où ce rapport allait être déposé ils se déclarassent encore dans l’impuissance de rendre leurs comptes ? De là une désobéissance et une mauvaise volonté qui avaient déterminé la convention nationale à user de rigueur envers eux. Ce n’étaient plus des fermiers-généraux que l’on frappait, c’étaient des aristocrates insoumis. Ils n’allaient comparaître devant des juges que pour leur résistance à la loi. Dupin ajoutait que, dans un mémoire adressé aux comités, les commissaires de la comptabilité avaient appuyé ce fait de preuves surabondantes, et de celle-ci entre autres que les pièces de comptes fournies jusqu’alors par ces fermiers n’avaient présenté que des résultats inexacts et des aperçus inintelligibles.

À la suite du rapport venait un projet de décret qui concluait à l’envoi des accusés devant le tribunal révolutionnaire. La convention le sanctionna et se réserva de statuer « sur les reprises à exercer contre les fermiers, ainsi que contre les croupiers, pensionnaires, héritiers, donataires ou ayant-cause, » Immédiatement conduits à la Conciergerie, les accusés y furent rejoints par leurs anciens collègues Douet et Mercier, incarcérés ailleurs. Comme instrument principal au procès, le décret du 16 floréal fut renvoyé à l’accusateur public Fouquier-Tinvilie.

Nous avons sous les yeux la liste des noms qui comparurent devant le sinistre tribunal. On y retrouve une portion de ceux qui avaient figuré dans les trois baux des fermes, les seuls qui pussent y être compris, bail David, bail Salzard, bail Mauger. Aucun de ces noms n’a de notoriété, si ce n’est celui de Lavoisier. C’était en réalité une collection de gens de finance qui par eux ou leurs amis tenaient de fortes sommes au service du roi, et de père en fils autant que possible se succédaient dans la ferme des impôts comme dans un domaine dont on eût pu difficilement les évincer. Il y en avait de tout âge et moins de jeunes que de vieux. Sur les 34 que Fouquier-Tinville allait envoyer à l’échafaud, 7 avaient dépassé soixante-dix ans, 11 soixante ans, le reste de trente à cinquante ans ; le doyen avait soixante-dix-huit ans, le plus jeune trente-cinq. On peut ajouter à leur louange qu’aucun ne semble avoir visé à une célébrité de mauvais aloi ni par de folles constructions ni par des aventures galantes ; dans des circonstances ordinaires, la postérité ne