Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ainsi finirent la ferme-générale et les derniers fermiers-généraux. Quand les hommes tombèrent, l’institution était morte déjà, morte à ne jamais renaître comme instrument de fiscalité. Il y a même lieu de s’étonner qu’elle ait duré si longtemps. Un bail entre l’état et une compagnie, appuyé sur un fonds d’avances déterminé et clos à l’échéance par une distribution proportionnelle des profits, n’avait pas, à tout prendre, coûté un grand effort à l’imagination de Colbert ; mais c’était tout ce que comportaient le temps et les circonstances ; viser plus haut et plus loin eût été à la fois impolitique et imprudent. Le grand avantage de ce règlement de comptes était de permettre aux deux parties des empiétemens respectifs, empiétemens de l’état sur la compagnie et de la compagnie sur les administrés. Une marge était ainsi laissée à l’arbitraire, à la faveur, aux fantaisies des rois et de leur entourage. On tolérait pour être toléré. On déchargeait en outre le gouvernement des embarras et de la responsabilité des rentrées d’impôt ; on dégageait pour ainsi dire les abords de la royauté, on simplifiait les écritures de la chancellerie. Il était bien entendu que les classes privilégiées, à quelque titre que ce fût, resteraient dans tous les cas hors de la portée des agens instrumentaires.

Justifiée sous ces rapports, la ferme-générale n’en gardait pas moins un mal d’origine qui la frappait d’impuissance et dont tôt ou tard elle devait périr ; elle ne pouvait s’appliquer qu’à d’insignifians budgets. On a vu, pendant les trois périodes où nous l’avons suivie, à quel chiffre montaient les recettes de la compagnie : à 150 ou 160 millions bruts, auxquels servait de garantie un fonds d’avances de 120 à 125 millions. La fortune de la France allait, en se développant, briser promptement un cadre aussi étroit. Le monopole seul des tabacs, restitué à l’état, devait doubler et tripler cette somme. Tous les impôts suivaient la même marche, et d’année en année arrivaient à un plus formidable total. Déjà en 1830 M. Thiers, dans un bel exposé de finances, avait dit à la chambre des députés, non sans une pointe d’ironie : « Saluez ce premier milliard, messieurs, car vous ne le reverrez plus. » Il aurait pu en dire autant et avec plus de tristesse du second milliard que le dernier empire a plus tard inauguré et qui, sous de poignantes nécessités, n’a fait que s’accroître. Heureux ou malheureux, les événemens obligeaient ainsi la France à plus d’efforts en lui créant plus de besoins et plus de charges en même temps qu’ils la mettaient sur la voie d’une comptabilité plus rigoureuse et de modes de recouvrement mieux appropriés.

Louis Reybaud.