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avait la volonté. On admirait son mutisme relativement aux motifs de son expédition ; mais les intéressés s’en effrayaient. Les marchands se demandaient si une affaire commerciale était en jeu. Parmi les plus émus se remarquait le gérant du consulat d’Angleterre. Soit en effet que les recherches scientifiques, les explorations longues et périlleuses aient été jusqu’à cette heure entreprises par des Anglais, et constituent pour la nation un honneur exclusif, soit qu’il vît avec peine l’attention se porter sur un pays dont les Américains, avec leur sens pratique, ne tarderaient pas à apprécier l’importance, le docteur Kirk éprouvait une certaine inquiétude. La discrétion de M. Stanley lui paraissait justifiée, tout en lui inspirant le vif désir de pénétrer les desseins d’un adversaire : il était en effet disposé à considérer comme adversaire celui qui, ne réclamant pas son concours, devait, à son sens, être dirigé par des intérêts opposés à ceux de l’Angleterre.

Ces craintes furent sans doute manifestées, et l’opinion publique en Angleterre se porta avec plus d’ardeur que jamais vers les contrées de l’Afrique où le docteur Livingstone, perdu pour tous et privé de toute communication, poursuivait ses courageuses explorations. Il fut question d’aller à sa recherche. Une expédition spéciale fut organisée sous le commandement d’officiers de marine, des savans y furent adjoints, le fils du docteur Livingstone en faisait partie. Le bâtiment à vapeur qui les portait arriva à Zanzibar pour assister au retour de M. Stanley, qui faisait enfin connaître le but de son voyage, et en démontrait le succès par les renseignemens qu’il tenait de l’illustre explorateur et par les lettres de ce dernier qu’il rapportait. L’expédition anglaise n’avait dès lors plus d’objet ; le jeune Livingstone, les officiers et les savans qu’il avait accompagnés rentraient en Europe sur le bâtiment qui les avait amenés. On apprenait tout à coup que M. Bennett, directeur du New-York Herald, avait sans préambule chargé un de ses rédacteurs d’aller à la recherche de Livingstone, en mettant à sa disposition un crédit illimité, — et M. Stanley était parti là-dessus en suivant le chemin des écoliers par l’Egypte, la Turquie, la Perse et l’Inde, pour arriver à Zanzibar et se diriger vers l’intérieur de l’Afrique, treize mois après son départ. Il revenait, porteur de lettres du docteur Livingstone, et le silence qu’il avait gardé sur ses projets était assurément le meilleur moyen de ramener son entreprise à la mesure du succès obtenu.

Le docteur Livingstone retrouvé, le monde savant se flattait d’entrer en possession du fruit de ses pénibles voyages. L’attente générale, il faut l’avouer, fut déçue. En France, où l’on va vite en raisonnement, de la déception on se hâte de conclure à l’imposture. Les lettres de Livingstone publiées par M. Stanley n’offraient pas,