Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas volontiers de marchandises à un négrier, soumis à trop de risques, — devenaient la propriété du capitaine et de l’équipage. La prise donnait droit pour chaque esclave à une prime de 4 livres sterling 1/2, et à une somme égale pour chaque tonneau de jauge de la barque ramenée ou brûlée en mer.

Sans prétendre critiquer un système qui devait paraître le seul praticable au début, on peut constater, par les témoignages des membres de l’enquête, que des irrégularités ont été commises et qu’en plusieurs circonstances des blâmes ont été infligés par le gouvernement à des capitaines de navires qui avaient fait indûment des prises lucratives. Généralement la cour supérieure de Londres a confirmé les jugemens rendus sur la validité ou l’invalidité par le consul. C’est dire que les capitaines et les équipages ont ou n’ont pas touché la prime qu’ils se croyaient en droit de réclamer. Quant aux propriétaires des barques, ils n’étaient nullement indemnisés de leurs pertes, et jusqu’à présent aucun d’eux n’a songé à recourir par voie de dommages et intérêts à la justice de la métropole. La croisière ainsi entendue comporte, pour justifier des pouvoirs arbitraires, un choix d’officiers honnêtes, ne parvenant au commandement qu’après une longue pratique en sous-ordre. La répression prenait le caractère d’une affaire, et l’on remarquait que les officiers de marine d’un grade relativement élevé commandaient les bâtimens les plus petits, de sorte que la part du capitaine devenait plus forte dans la répartition de la prime entre son équipage et lui. Quelle qu’ait été au reste la valeur de ces accusations, chacun était témoin de la mise en vente des marchandises rapportées que les négocians n’avaient le plus souvent confiées au bâtiment négrier que par ignorance de sa destination. Quant aux esclaves, ils étaient envoyés aux Seychelles, à Bombay et à Aden. Parfois, pour éviter les frais d’un nouveau transport, les enfans étaient remis à Zanzibar même à ceux qui consentaient à s’en charger. Aucune protestation n’était élevée, et, ce qui est plus caractéristique, aucune tentative n’était faite par les propriétaires pour troubler la possession des personnes qui, utilisant le travail de ces nègres, paraissaient aux yeux des Arabes s’être mises par force à la place de leurs acquéreurs.

C’étaient d’abord les missionnaires protestans qui choisissaient les enfans, garçons ou filles, pour les catéchiser et les élever ; les missionnaires catholiques étaient ensuite pourvus ; enfin un grand industriel anglais établi dans le nord de l’île, M. Frazer, en employait le plus grand nombre. Ce dernier avait contracté autrefois avec les propriétaires de l’île pour la fourniture de travailleurs, contrat que le consulat d’Angleterre attaquait après l’avoir permis. L’autorité anglaise ne voulait plus reconnaître de conventions par lesquelles un de ses nationaux exerçait sur des travailleurs esclaves