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par conséquent, et d’autre part que le contrôle exercé par un agent du gouvernement anglais soit facilité à l’arrivée. On réduirait ainsi l’entrée des esclaves dans les proportions de 1,800 à 3,000 au maximum, suivant le chiffre à fixer d’après la demande annuelle. En vue de dédommager le sultan de ses sacrifices, sir Bartle recommande le remboursement des 200,000 francs que le souverain doit payer à son frère, le sultan de Mascate. Cette solution n’imposerait pas aux finances de l’Angleterre et de l’Inde, distinctes, comme on sait, des charges plus onéreuses que ne le sont les frais de la croisière. Il faut aussi, dit sir Bartle, améliorer la situation des agens consulaires, et apporter plus d’attention dans le choix des commandans, afin d’assurer l’efficacité de la croisière. Il rend pourtant hommage au mérite du dernier commodore, sir Léopold Heath, dont tous les officiers de notre division ont apprécié la courtoisie.

Sir Léopold Heath parlait le français avec une grande aisance ; il aimait nos officiers et il s’entretenait volontiers avec eux des devoirs de sa mission. « Laissez-nous libres d’agir à Zanzibar, leur disait-il, et nous ne nous occuperons plus de ce que vous ferez à Madagascar. » Le commodore anglais n’était pas chargé d’exprimer la pensée de son gouvernement, il appréciait et il recherchait dans sa franchise de marin la conciliation si désirable d’influences devenues rivales pour s’exercer sur les mêmes points, souvent annulées au détriment du progrès, alors que chacun des deux pays, suivant son génie, aurait dû entreprendre de belles et grandes choses en sachant se borner. Sir Léopold Heath, peu confiant en l’utilité de la croisière, la dirigeait néanmoins très activement ; mais il était sans doute mal secondé. Aussi voyons-nous sir Bartle regretter que les commandans des bâtimens ne soient pas assez familiarisés avec les opérations de la traite, que les interprètes soient peu honorables, enfin que les canots montés par les officiers à la tête d’un équipage relativement nombreux ne soient pas en mesure de lutter contre les courans, toujours violens dans les îles, et contre les bourrasques de la mousson. C’est qu’en réalité sur ces embarcations non pontées, où les hommes, fréquemment mis aux avirons, croisent pendant quatre ou cinq semaines à de grandes distances du bâtiment, les risques sont sérieux. Tantôt les embarcations sont jetées à la côte, et les équipages, s’ils ne parviennent pas à sauver les munitions, ont à redouter l’hostilité des indigènes ; tantôt des Arabes poursuivis ouvrent le feu en gagnant la terre, où ils abandonnent la barque et sa cargaison. Ce sont là les luttes et les émotions accidentelles ; mais il faut subir en tout temps les longues journées sans abri sous un soleil implacable, les nuits passées au mouillage imparfaitement connu avec l’humidité pénétrante, le quart des hommes veillant, les autres couchés dans le fond de l’embarcation, l’officier et le midshipman