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au sommet d’une colline, la chapelle surmontée d’une croix. L’aspect est celui d’un de ces villages coquets où chacun embellit sa demeure ; puis on est ému à la pensée de la somme de persévérans labeurs auxquels sont dues ces transformations de terrains incultes en terres de plein rapport, de cases infectes en élégantes maisons, d’esclaves en hommes libres et intelligens. Avec le travail vient la gaîté, qui résiste aux cruelles épreuves, tantôt du choléra, plus tard d’un cyclone, qui n’épargna pas un arbre, pas une construction. Deux années ne se sont pas écoulées depuis cet épouvantable sinistre, et le village s’est relevé de ses ruines plus florissant que jamais. Quel exemple pour les travailleurs appelés à l’aide et pour les indigènes du voisinage ! En même temps tout ce monde est instruit dans la religion, parle, lit et écrit le français ; les études ne sont pas négligées, les arts d’agrément trouvent même leur place. Les noirs ont l’instinct musical, révélé par ces chants qui, improvisés par un auteur anonyme, courent dans toute la ville. C’est sur l’air adopté par la mode que le nègre racontera l’anecdote du jour. À Zanzibar, le chant du passant est la gazette, l’expression de l’opinion publique qui ne connaît pas d’entraves. Nos religieux de Bagamoyo ne laissent pas perdre cette indication. La musique vocale et instrumentale est en grand honneur. Aux jours de réception, quand un bâtiment signalé en mer annonce une visite, la mission entière se dirige vers le rivage par le chemin de 2 kilomètres qui descend en ligne droite du chalet principal. Le bâtiment est mouillé au large au-delà de la centaine de récifs que franchissent les embarcations. Il faut du temps pour gagner la terre. À peine les visiteurs ont-ils quitté vivement le canot que les cuivres éclatent en fanfares. Tout le pays est là jouissant de votre surprise. Des cris de bienvenue se font entendre ; on se met en marche, musique en tête ; les garçons, vêtus de pantalon et blouse bleue serrée à la taille, coiffés d’un chapeau de paille, ont une tournure leste et pimpante qui contraste avec la misère de la foule accourue. La route toute bordée de fleurs semble avoir une parure de fête. À l’extrémité, de chaque côté de la haie qui forme enceinte, sont rangées les filles en robes bleues, bonnets et fichus éclatans de blancheur, et les modestes et vaillantes sœurs aux traits fatigués par la fièvre, saluant d’un doux sourire. Qui donc n’oserait alors avouer un moment d’émotion ?

Les religieux ont entrepris et mené à bien une œuvre de moralisation chrétienne et de civilisation. Les services qu’ils ont rendus et qu’ils rendent constamment, après avoir surmonté la défiance, leur ont concilié les sympathies en pays musulman. Ces services sont plus recherchés en raison de l’état primitif de ceux auxquels