Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/427

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sans refaire l’histoire parlementaire de cette époque si connue, il nous faudra parfois rappeler les événemens auxquels sir Gilbert Elliot se trouva mêlé, a(in d’indiquer la ligne politique qu’il crut devoir adopter, et les motifs qui déterminèrent les résolutions les plus importantes de sa vie. Par éducation et par goût, sir Gilbert était plutôt tory ; mais, dès son entrée à la chambre des communes, il fit campagne avec l’élite du parti whig en prenant part au vote qui devait mettre un terme à la guerre d’Amérique, jugée par lui désastreuse pour son pays. Sans doute il se crut lié par ce premier vote, car depuis lors il n’abandonna plus ses alliés et résista aux sollicitations qui lui furent faites du côté opposé. C’est ainsi qu’on peut voir, par le billet suivant adressé à lady Elliot en 1782, au moment de la formation du ministère Shelburne, quelle place sir Gilbert occupait déjà dans le monde politique :


« Hier au soir, en rentrant chez moi, j’ai trouvé un mot de lord Shelburne, qui désirait me voir aujourd’hui. Je me suis rendu à son invitation, et flatteries, promesses, prières, il a tout épuisé pour s’assurer mon concours… Sachez seulement qu’il s’efforçait de me gagner et qu’il n’a finalement obtenu de moi que la déclaration très explicite de ma préférence pour ses adversaires et de ma détermination bien arrêtée de ne pas me joindre à lui. J’ai eu le plaisir, afin de rester fidèle à la cause que je sers, de refuser des offres qui, j’en suis assuré, eussent été suivies d’effet. »


Grâce au jeu de bascule du régime parlementaire, un ministère qu’on a appelé celui de la coalition arriva pour quelque temps aux affaires, pendant l’année que sir Gilbert Elliot était allé passer à Nice ; mais George III, qui avait eu la main forcée en cette occasion et qui détestait Fox, Burke et leurs adhérens, n’avait pas tardé, par une sorte de coup d’état constitutionnel, à dissoudre la chambre des communes et à rappeler un ministère tory. En agissant ainsi, le roi s’était exposé à créer une opposition formidable dans la nouvelle chambre, irritée du procédé. Les esprits sages s’en alarmèrent et voulurent rapprocher Fox et Pitt, qui, en se réunissant, auraient disposé dans le parlement d’une force considérable. Quelques démarches furent essayées dans ce sens, elles n’aboutirent qu’à rendre plus tranchée la séparation entre les deux leaders qui se partageaient la chambre des communes. « Qu’aurait-on dit, fait à ce propos remarquer M. de Rémusat, si l’on avait pu prévoir les conséquences futures de cette rupture, si l’on s’était douté qu’elle traînât à sa suite et la décomposition de l’ancien parti whig, et la naissance d’un torisme nouveau, et la dissidence éternelle, l’éternelle inimitié de Pitt et de Fox, et peut-être, si rien n’est fatalement réglé dans le monde, les longs déchiremens de l’Europe dans une guerre dont le monde n’a pas vu l’égale ? »